La vieillesse peut-elle être mesurée ? Derrière cette question qui paraît absurde, se cache une véritable interrogation biologique. Le gériatre Bernard Mouralis (1999), professeur à Paris VI, indique : « la vieillesse ne se laisse définir ni par un mécanisme spécifique unique, ni par le seul effet du temps, ni par un mode de décès. Il n’en existe aucune mesure biologique. Toutes les constantes biologiques gardent la même constance chez le vieillard sain ». Les phénomènes de sénescence ne se résument, en effet, pas à une valeur mesurable et objective, et certainement pas par l’âge. De ce fait biologique, on tire deux conséquences importantes sur le plan des politiques publiques.
Sa première conséquence est l’inégalité des individus devant le vieillissement : nous savons bien que les rides, la calvitie ou des éléments plus importants comme le ralentissement des capacités motrices et cérébrales n’apparaissent pas au même âge selon les individus. Cette inégalité rend difficile la mesure du vieillissement au niveau collectif dans la réalisation de politiques publiques. Les pouvoirs publics ont tendance à résumer le phénomène à quelque chose de purement statistique : le vieillissement serait ainsi l’augmentation du nombre de personnes âgées, ce qui n’est pas forcément le cas.
La deuxième conséquence est plus positive, car si on ne peut pas arrêter le temps qui passe ou l’accroissement, en proportion et en valeur absolue, du nombre de personnes âgées, le vieillissement, lui, peut être ralenti, prévenu, voire arrêté ; et avec lui, la dépendance car étant sa principale conséquence. En effet, si le vieillissement, n’est pas une affaire d’âge, c’est le contexte – activité (professionnelle ou sportive) ; l’alimentation, la pollution, la génétique, la médecine, le hasard aussi, qui l’accélère ou le ralentit, contexte pouvant être modifié par des politiques publiques. « Aujourd’hui ma grand-mère fait du vélo. En 2030, elle fera du deltaplane » écrit ainsi Patrick Lelong dans l’introduction de son Essai la Fabrique des Centenaires. Il continue en écrivant « Ses coachs se nomment "allongement de l'espérance de vie,", "progrès de la médecine" et "prévention" ». Assurément, l’objectif ultime d’une politique de dépendance, c’est faire en sorte de la faire disparaître – de la réduire au maximum – de casser la corrélation entre vieillissement et dépendance, puis d’aider les dépendants restants.
Ainsi, la politique de dépendance des personnes âgées est un arbitrage entre le traitement de la dépendance et entre la prévention du vieillissement. Si cet arbitrage n’est pas équilibré et qu’on privilégie le traitement du vieillissement, les finances publiques en pâtiront fortement. Au contraire, privilégier la prévention conduira à l’abandon des personnes dépendantes.
La France est dans le premier cas : la politique de prévention dans le domaine de la dépendance est à ses balbutiements alors que le traitement de la dépendance est démesuré par le biais d’allocations coûteuses. Plus largement, la France si elle dépense des quantités d’argent importante dans le domaine de la dépendance (31 milliards d’euros selon le rapport Fragonard), la France n’a pas, à proprement parler, mis en place de politique publique de la dépendance.
Nicolas Sarkozy, avant l’élection présidentielle de 2007 avait proposé la mise en place d’une cinquième branche de la sécurité sociale ; aux côtés de la branche maladie, de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, de la branche vieillesse et veuvage et de la branche famille, il souhaitait mettre en place une branche dépendance. Elle ne sera jamais mise en place. Déjà, une fois élu, il ne parlera plus de cinquième branche, mais de cinquième risque. Ce n’est pas qu’un changement de rhétorique, c’est un recul en termes de protections. Une cinquième branche implique un traitement collectif par la sécurité sociale. Par contre, parler d’un cinquième risque, c’est déjà accepter que qu’il ne sera pas totalement pris en charge par la sécurité sociale et que les acteurs privés y tiendront un rôle capital. Finalement, la crise économique mettra fin à cette idée et la réforme sera finalement annulée. Un débat national a certes été mis en place en 2011 ; dont il en résulte de nombreuses réflexions, toutefois, rien de véritablement concret. François Hollande n’a pas encore tranché, non plus.
De par cette absence de décision, l’interrogation autour du traitement de la dépendance reste ainsi encore ouverte. Quel équilibre entre traitement et prévention ? Comment traiter la dépendance, comment la prévenir ? Doit-elle constituer une cinquième branche ? Un cinquième risque ? Ou alors, ni l’un ni l’autre ? Ce qui revient à se poser la question: Le traitement doit-il être essentiellement privé, public, mixte ? Assuré par la sécurité sociale, par les collectivités territoriales, par les familles, les maisons de santé ? Ce sont à ces questions que j'essairai de répondre.
Avant de répondre – il faut revenir aux fondamentaux – « qu’est-ce que la dépendance ? », étymologiquement, ce mot provient de « dépendre », un terme utilisé au Moyen-Age qui signifiait enlever quelqu’un de la potence. Le sens a quelque peu évolué aujourd’hui, et désigne l’incapacité à être autonome et la nécessité pour une personne d’avoir l’aide de quelqu’un pour subvenir à ses besoins vitaux. Le handicap lorsqu’il se fait intense relève de la problématique de la dépendance, mais nous ne traiterons pas de cette problématique, pour la simple raison qu’un autre groupe s’occupe de ce thème. Cet exposé sera consacré à la dépendance des personnes âgées.
La problématique de la dépendance devient de plus en plus prévalant. Une première raison est à chercher dans la démographie. Si, comme je l’ai montré, un âge avancé n’est pas synonyme de vieillissement ; il existe une corrélation entre les deux. La France aura un nombre de plus en plus important de personnes âgées. Bien qu’il soit très difficile d’évaluer à moyen ou à long terme l’état de la dépendance, car il dépend de progrès médicaux, notamment par exemple, dans le traitement de la maladie d’Alzheimer, il est évident que le phénomène de la dépendance va s’accentuer.
Une autre raison qui explique pourquoi on parle autant de la dépendance, c’est qu’il s’agit d’un problème sociétal majeur : Les sociétés occidentales, non seulement vont connaitre une baisse du taux d’actifs dans la part total de la société, mais même parmi ces actifs, une part de plus en plus importante sera occupée à répondre à ce besoin grandissant ; or chaque personne de plus qui s’occupe de personnes âgées, c’est une personne de moins qui travaille dans un secteur productif. En plus de cela, il faut ajouter le coût financier occasionné. La dépendance des personnes âgées est loin de toucher seulement la France. Certains pays ont commencé à mettre en place des solutions dont pourraient s’inspirer la France. Le Japon a fait le choix de la robotisation. Les Etats-Unis se sont davantage dirigés vers un traitement individuel et privé. Quant à l’Europe, France comprise, elle tend à réaliser un traitement collectif par des éventails d’aides (allocation personnalisée à l’autonomie – APA) et d’actions sociales (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes - EHPAD).
Certes, la France ne connaitra pas un vieillissement aussi grave que l’Allemagne ou le Japon de par son taux de natalité plus élevé – mais la dépendance ne sera pas sans causer de grandes mutations même dans notre pays. Le fait que la France n’a toujours pas pris de décisions sur cette question est-il raisonnable ? La dépendance des personnes âgées est un sujet qu’on a tendance ces derniers temps à mettre au second plan, à occulter, à cacher – un peu comme Nicolas Sarkozy qui qui l’avait qualifié de « priorité secondaire » en 2012, un peu comme l’illustre Samuel Beckett dans En Attendant Godot, pièce de théâtre dans laquelle il cache les vieillards dans des poubelles – ou la société contemporaine qui les dissimule dans des maisons de retraite et qui voue plus largement un culte à la jeunesse, comme l’écrit Houellebecq dans Plateforme, « De tous les biens terrestres, la jeunesse physique est à l'évidence le plus précieux ; et nous ne croyons plus aujourd'hui qu'aux biens terrestres. ». Or, plus le traitement de cette thématique sera tardif, plus il sera coûteux – la prévention coûtant moins cher que des traitements dans des établissements de santé.
Si on souhaite effectivement savoir ce qu’est la vieillesse ou la dépendance, il convient comme le disait Rousseau de sortir de son village et de porter son regard au loin. On se rend compte alors que la vieillesse et la dépendance sont des notions fuyantes qui ne renvoient à aucune réalité stable, ce qu’Emmanuel nous expliquera en premier lieu (I). Ce qu’on remarque ensuite, c’est l’extrême variabilité du traitement social que les cultures réservent aux personnes âgées, Camille nous décrira le traitement contemporain de la notion de dépendance en France (II), avant que Maxime mette en avant les problèmes qui lui sont inhérents (III). Enfin, Ariane évoquera l’avenir de la dépendance en France – en termes, à la fois, des réformes qui pourraient être mises en place et des grandes tendances qui se profilent (IV).
I) La vieillesse et la dépendance : des concepts en évolution permanente au cours de l’histoire de l’humanité
A) La conception de la vieillesse et de la dépendance connaît une évolution marquée dans l’histoire
La conception de la vieillesse connaît une évolution marquée en Europe, avec une dégradation marquée de l’image associée à celle-ci, qui correspond à des évolutions démographiques réelles et une croissance de la place des personnes âgées dépendantes, qui apparaissent comme un « poids » pour le progrès économique et social. De nos jours, la définition administrative de la vieillesse et de la dépendance n’apparaît pas adaptée à la réalité démographique.
1) La perception sociale de la vieillesse et de la dépendance
La notion de la dépendance, et plus largement de la vieillesse ont connues une évolution marquée au cours du dernier siècle en Europe.
Dans l’Antiquité grecque, la vieillesse était considérée comme le stade de développement ultime de l’être humain, la vieillesse n’était pas perçue de manière négative, ni le vieillard comme un poids pour la société, au contraire, il lui apporte sa sagesse unique. Ainsi, Cicéron développe dans Savoir Vieillir une vision de la vieillesse dans laquelle il récuse ce qui apparaît comme le caractère même de la vieillesse, c’est-à-dire la décadence de l’être, la dégradation du corps et de ses capacités. Ainsi, il affirme que seuls ceux qui perdent la mémoire dans la vieillesse sont ceux qui ont cessé de l’exercer, et que la personne âgée ne peut être aussi forte qu’un jeune mais que c’est de même dans la jeunesse que se définit l’état d’un corps « usé ou en bon état » de la personne âgée, il dit aussi que « il s’agit d’employer ce que vous avez de forces et de faire toujours du mieux que vous pouvez ». De même, Platon affirme que la sagesse ne peut avenir qu’avec la vieillesse dans Le Banquet : « les yeux de l’esprit ne commencent à être perçants que quand ceux du corps commencent à baisser ». Dans l’Antiquité grecque, la vieillesse n’est donc pas une décadence mais au contraire un accroissement des capacités issu de l’accumulation de savoir. Le pouvoir dans les cités grecques est ainsi confié en priorité aux personnes d’un certain âge, avec notamment les conseils de gérontes à Sparte où l’existence d’un âge limite pour accéder à la Boulê athénienne. Cette vision est partagée dans l’antiquité asiatique, qui porte un respect particulier aux personnes âgées, et celles-ci se poussent à participer activement au développement économique.
Au moyen-âge, la vision de la vieillesse va subir une première dégradation en Occident. Ainsi, alors que les personnes âgées homme demeurent respectées, sous la figure du vieux chevalier ou du sage conseiller, les femmes subissent une dégradation de leur image : c’est notamment l’apparition de la vision de l’avarice peinte sous les traits d’une vieille dame ou de la sorcière.
A la Renaissance, la population française commence à s’urbaniser et à vieillir. La vision de la vieillesse subit alors une nette dégradation, alors que grâce à l’augmentation progressive de la qualité de la médecine, les soins permettent une première augmentation de l’espérance de vie. Dans le cadre de l’Humanisme, la jeunesse est privilégiée, c’est elle qui doit être éduquée et surpasser ses capacités physiques et permettre l’apparition d’un nouvel âge d’or pour l’humanité.
Par la suite, la vieillesse va apparaître de plus en plus comme un problème et les personnes âgées, de plus en plus nombreuses et dépendantes, un poids pour la société. A la Révolution, la question des personnes âgées se pose pour la première fois. La notion de retraite apparaît alors. La Convention se charge de la mise en place de mesures pour les pauvres et les dépendants. Les termes utilisés montrent bien la conception dégradée de la dépendance dans le décret du 28 juin 1793: «Le vieillard indigent sera secouru aussitôt que l'âge ne lui permettra plus de trouver dans son travail des ressources suffisantes contre le besoin.». L’indigence, qui participe de la définition de la dépendance, est ainsi un facteur essentiel de la dégradation l’image de la vieillesse, alors que les personnes âgées vivant de plus en plus vieilles, elles sont de plus en plus soumises à la dépendance.
Le XIXème siècle voit le développement d’un rejet encore plus marqué de la vieillesse : la population des plus de 60 ans dépasse les 10% de la population totale en France, notamment suite à l’effondrement de la natalité. De nombreux auteurs dénoncent alors une société dirigée par la gérontocratie ou les jeunes n’ont plus de place et où l’ascenseur social est bloqué. On peut par exemple citer la description de l’échec de Lucien de Rubempré dans Illusions Perdues de Balzac à trouver une place dans cette société cadenassée.
Au XXème siècle se développent la gériatrie et la gérontologie : la vieillesse et la dépendance sont acceptées comme fait social, mais elle garde son image dégradée.
Cette évolution historique montre donc que la dégradation de la notion de vieillesse accompagne l’apparition progressive de la dépendance issue notamment de l’allongement de la durée de vie grâce aux progrès médicaux, dépendance qui fait apparaître les personnes âgées comme un poids pour la société.
2) L’évolution démographique française de ces vingt dernières années montre un âge d’entrée en dépendance de plus en plus lointain
Au fil de l’évolution historique, la notion de vieillesse évolue aussi dans le sens où l’on devient progressivement en France vieux de plus en plus tard, ce phénomène accompagnant les évolutions démographiques. En effet, s’il y avait environ 200 centenaires et 35 000 nonagénaires en 1950, ils étaient 17 087 et 561 646 en 2012 (Frédéric Balard – INSEE janvier 2012).
De même, la population dans son ensemble est de plus en plus âgée en raison de la chute de la natalité et de l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi, l’âge moyen de la population est passé de 38.6 ans en 2000 à 40.6 ans en 2013 selon les prévisions de l’INSEE. L’espérance de vie a connu en moins de vingt ans une évolution qui demeure forte malgré une stagnation de l’espérance de vie masculine et une petite chute de l’espérance de vie féminine ces dernières années: elle était de 73.6 ans en 1994 pour les hommes et elle est de 84.8 ans pour les femmes.
Cependant, grâce aux évolutions médicales, qui permettent de conserver les personnes âgées en bonne condition de plus en plus longtemps, l’âge de la dépendance est de plus en plus repoussé, notamment dans les grandes métropoles où l’accès à une médecine de qualité est plus facile. Ainsi, en Ile de France, le taux de dépendance des Franciliens âgés de 75 à 84 ans diminuerait de 1,4 point en 15 ans et celui des 85 ans ou plus, de 2,6 points. L’âge moyen des personnes dépendantes de 75 ans ou plus serait de 88,4 ans en 2020. Il était de 87 ans en 2005. Ces progrès permettent de limiter l’explosion du nombre de personnes âgées dépendantes qui est induite par l’augmentation de l’espérance de vie.
Ainsi, les personnes âgées sont considérées socialement comme vieilles et se considèrent elle-même comme vieilles de plus en plus tard, et l’âge de entrée en dépendance est de plus en plus repoussé.
3) La définition actuelle de la vieillesse et de la dépendance
Selon la définition administrative, depuis la loi du 24 janvier 1997 instaurant la prestation spécifique dépendance et la loi de janvier 2002 créant l’allocation personnalisée d’autonomie, l’âge de la vieillesse et de la dépendance possible qui en découle est 60 ans : avant cette limite, ces personnes sont considérées comme handicapées et après cette limite, elles sont dépendantes ou en perte d’autonomie. Les prestations auxquelles ces personnes ont droit sont donc différentes dans les modes d’accès comme les montants.
Cette définition administrative ne correspond pas à la réalité sociale : le seuil réel à partir duquel les individus se considèrent en 2013 comme personnes âgées est aux alentours de 75 ans (Badeyan, Colin, 1999), âge qui correspond aux risques réels d’entrée en dépendance.
La dépendance est de nos jours définie comme la « situation d'une personne qui, en raison d'un déficit anatomique ou d'un trouble physiologique, psychologique ou affectif ne peut remplir des fonctions ni effectuer des gestes essentiels à la vie quotidienne sans le concours d'autres personnes ».
Cependant, la dépendance n’est pas un fait social bénéficiant d’une définition unique : il existe de nombreux indicateurs de dépendance en charge de cerner ses degrés. Ces indicateurs reposent sur les réponses apportées relativement à deux grands groupes de thèmes : les ADL (activities of daily living définies par Katz en 1963) soit la capacité des personnes âgées à réaliser des activités de la vie quotidienne qui concernent s’habiller, faire sa toilette, aller aux toilettes et les utiliser, se déplacer du lit au fauteuil, se nourrir … et les IADL : (instrumental activities of daily living, Lawton, 1969) qui concernent le fait de faire les courses, préparer les repas, entretenir sa maison, laver son linge …
La législation française reprend ces indicateurs pour définir des grilles de notation dans l’outil AGGIR de mesure de l’autonomie de la personne âgée.
B) Une évolution de la conception de la vieillesse qui se traduit dans les politiques mises en place
Nous allons ici montrer comment cette évolution de la conception de la vieillesse et les transformations démographiques conduisent aussi à la mise sur agenda progressive de la dépendance.
1) Avant 1960
Jusqu’aux années 1960, l’essentiel de la prise en charge des personnes âgées se faisant au sein de la famille, il n’existait pas à proprement parler de politique d’action sociale spécifique. La vieillesse n’est pas prise en charge par la solidarité publique puisque la solidarité familiale est considérée comme compétente dans le domaine.
La seule forme de solidarité existant alors était celle de l’assistance aux pauvres, qui se traduisait par des aides ponctuelles financière ou en nature, sous la forme de soins apportés aux personnes en besoin dans les hôpitaux ou par des livraisons en nourriture. Bien qu’une large partie des personnes qui en dépendent soient alors des personnes âgées, aucune politique n’est menée spécialement à leur encontre.
Une première phase de soutien public destiné exclusivement à l’égard des personnes âgées dépendantes voit le jour avec le développement des aides ménagères à domicile, permettant par leur soutien aux tâches domestiques et dans le domaine des soins à personne un maintien des personnes âgées hors de l’hôpital. Le financement est assuré par l’aide sociale départementale, puis par les caisses d’assurance maladie avec lesquelles des conventions sont signées (1958-1960).
Parallèlement à cette prise en charge publique, des associations caritives accompagnent de plus en plus l’église dans sa volonté de soutien aux personnes en état de besoin, en particulier pour les personnes âgées isolées. Une forme de solidarité collective non publique accompagne ainsi la solidarité familiale pour répondre au manque de prise en charge publique de la question.
2) Années 1960-1970
En 1960, la situation évolue avec la création par le premier ministre de la commission d’étude des problèmes de la vieillesse, chargée d’élaborer un tableau de l’état et du nombre de personnes âgées dans la France de 1960, ainsi que des prévisions démographiques pour le futur. Ses conclusions visent à favoriser deux axes centraux : la priorité au soutien à domicile et au maintien d’activités.
Le paiement des prestations est alors assuré par l’assurance maladie pour les soins, l’aide sociale pour les prestations sociales légales, attribuées sous condition de ressource, l’assurance vieillesse pour les prestations sociales facultatives telle que l’aide-ménagère
La loi de janvier 1978 complétant la loi hospitalière de décembre 1970 va définir les services et unité de long séjour ainsi que leur mode de financement par une double tarification : le forfait soin et le forfait hébergement.
La prise en charge de la vieillesse et de la dépendance rentre donc alors enfin dans les missions de l’Etat français, avec la mise en place d’une politique spécifique pour la prise en charge de cette
3) Années 1980
Alors qu’une politique spécifique vient d’être crée, la crise qui commence dans les années 1970 va affaiblir la mise en place de la politique d’action spécifique à la vieillesse. La priorité va en effet être alors mise sur la maîtrise des dépenses publiques et va directement se reporter sur le soutien aux personnes âgées, bien que la volonté de prise en charge du problème demeure présente.
Ainsi, un secrétariat d’Etat chargé des retraités et des personnes âgées est créé en 1982. Mais étant doté de moyens trop faibles, une réforme de la tarification des soins aux personnes âgées dépendantes est rendue impossible.
En 1983-1986, l’Etat confie par les lois de décentralisation la responsabilité aux départements de l’action sociale et de l’aide sociale en particulier pour les personnes âgées.
En 1988 est créée une commission nationale d’étude sur les personnes âgées dépendantes, le rapport qui en découle « Les personnes âgées dépendantes » qui conforte la nécessité de soutien à domicile et propose aussi la création d’une assurance autonomie.
4) Années 1990
En 1991, le rapport « Xème plan : dépendance et solidarité. Mieux aider les personnes âgées » produit par le Commissariat général du plan propose comme mesures l’instauration d’une nouvelle prestation en espèce qui compléterait le dispositif existant des prestations en nature ; la réforme de la tarification proposant des forfaits en fonction de l’état de santé des pensionnaires et non plus du statut juridique de l’établissement et enfin la création d’un service départemental médico-social de soin aux personnes âgées dépendantes.
En 1995 est mise en place l’expérimentation d’une allocation spécifique dépendance dans 12 départements et dont le cahier des charges est établi par le ministère des affaires sociales. Suite à cette expérimentation est créée en 1997 la prestation spécifique dépendance.
Enfin, en 1999 le décret n°99-316 établi trois tarifs relatifs au financement des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes : le tarif hébergement ; le tarif afférant à la dépendance ; et le tarif soin couvrant les prestations médicales et paramédicales et les soins liés à la dépendance.
La conception de la dépendance, et plus largement de la vieillesse, se transforment donc avec une prise de conscience croissante de ce double phénomène. Accompagnant cette reconnaissance de la dépendance comme problème public, sa prise en charge par les pouvoirs publics se développe de plus en plus. Nous allons donc à présent développer la prise en charge actuelle de la dépendance par les pouvoirs publics, en étudiant le financement actuel de la dépendance, et en précisant les différentes aides et organismes de prise en charge.
II) La prise en charge actuelle de la dépendance est faite par une multiplicité d’acteurs intervenant inégalement dans le financement
Cette partie fera un état des lieux de la prise en charge de la dépendance à travers les acteurs impliqués et les dispositifs mis en place et reviendra sur le financement de la dépendance.
A) Le financement actuel de la dépendance en France
Selon le rapport de Bertrand Fragonard[1], « stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées » paru en juin 2011, 34 milliards d’euros ont été dépensés en France en 2010 pour la prise en charge de la dépendance des personnes âgées. L’intervention publique est d’environ 24 milliards d’euros tandis que les financements privés sont de l’ordre de 10 milliards d’euros.
En premier lieu, 42% des dépenses soit 14,4 milliards d’euros sont relatives aux soins apportés aux personnes âgées. Ces frais sont destinés aux personnes reconnues dépendantes en France c’est-à-dire les bénéficiaires de l’APA. Ces soins peuvent être dispensés en établissement pour personnes âgées ou à domicile par des SSIAD (Services de Soins Infirmiers à Domicile). Les soins de médecine de ville et l’hospitalisation des personnes dépendantes sont inclus dans ces dépenses. Les aides financières attribuées aux personnes dépendantes représentent 8,3 milliards (24% du coût total). La principale aide est l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) avec 5,3 milliards.
Les dépenses liées à l’hébergement lorsque la personne vit en établissement représentent 10,1 milliards d’euros, soit 29% du coût total. Les aides publiques versées aux personnes dépendantes qui ne peuvent pas payer les frais d’établissement du fait d’un revenu insuffisant (aide sociale), et le reste à charge de la personne âgée ou de sa famille pour les frais d’hébergement en établissement (repas, hôtellerie) sont inclues dans la dépense. Il convient toutefois de noter que les dépenses d’hébergement seraient inférieures d’environ 3,4 milliards d’euros si l’on excluait les dépenses de « gîte et de couvert ».
Enfin, les dépenses de prévention de la dépendance pour les Groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6 soit pour les personnes les moins dépendantes représentent 1,5 milliard d’euros soit 4% du coût total. Les GIR permettent de classer les personnes en fonction des différents stades de perte d'autonomie. Ils sont au nombre de six. Le classement dans un GIR s'effectue grâce aux données recueillies par une équipe médico-sociale à l'aide de la grille Aggir (Autonomie gérontologie-groupe iso-ressources) qui permet de pondérer différentes variables (cohérence, orientation, toilette, communication).
Bertrand Fragonard précise que ces estimations sont à prendre avec précaution puisque les dépenses liées spécifiquement à la dépendance ne sont en effet pas toujours identifiables dans les statistiques existantes.
B) La prise en charge de la dépendance est majoritairement publique
1) Les modèles de prise en charge de la dépendance dans le monde
Le modèle français de prise en charge de la dépendance se caractérise par une place prépondérante du secteur public comme dans la plupart des pays de l’OCDE. Au-delà de l’hétérogénéité des systèmes de prise en charge de la dépendance, le Centre d’Analyse Stratégique[2] a distingué trois types de couverture de la dépendance :
- Un système de couverture universelle qui offre des services à tous les individus qui en ont besoin et qui est organisée au sein d’un programme unique (assurance sociale dépendance en Allemagne, au Japon ou aux Pays-Bas et services financés par l’impôt au Danemark ou en Suède). Par exemple, l’Allemagne considère la dépendance comme un « risque social » auquel correspond une assurance sociale financée par des cotisations et gérée dans un cadre paritaire entre employeurs et employés.
- Un système de couverture qui fait office de filet de sécurité pour les plus démunis, où l’accès aux prestations est soumis à des conditions de ressources (Royaume-Uni, États-Unis). La solidarité est assurée d’abord par le marché puis par la famille. C’est l’individu qui assume sa perte d’autonomie, soit en utilisant ses propres économies soit en recourant à des assurances privées
- Un système mixte qui combine ces différents dispositifs et financements (Italie, France). A noter que l’Italie se caractérise par une prise en charge de la dépendance assurée en grande partie par une forte solidarité familiale.
2) La prise en charge de la dépendance par le secteur public
En France, le rapport Fragonard publié en 2011 estime à 70% le poids du secteur public dans le coût de la perte d’autonomie. Le terme de « secteur public » englobe plusieurs organes ou institutions publics qu’il s’agit de distinguer.
D’abord, la sécurité sociale est de loin l’acteur qui contribue le plus à la prise en charge de la dépendance, avec des dépenses d’environ 15 milliards d’euros (62% de la dépense) pour le remboursement des soins. Elle intervient dans le cadre des branches maladie et vieillesse. Les dépenses de soins sont pour l’essentiel socialisées par l’assurance maladie ou la CMU complémentaire.
Les collectivités territoriales prennent aussi en charge la dépendance avec près de 22% des dépenses. Les lois de décentralisation (acte I en 1982-1984 et acte II en 2003) et l’article 72 de la Constitution ont placés les départements au centre de la prise en charge de la dépendance, en les chargeant de l’élaboration et de la coordination d’une politique globale en la matière. Ils suivent et soutiennent les personnes en perte d’autonomie dans le cadre de la gestion de l’APA (Allocation Personnalisée à l’Autonomie). Avec plus de 6 milliards d’euros dépensés en 2009, l’aide aux personnes âgées est un des premiers postes de dépenses nettes d’aide sociale des départements.
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), établissement public créé par la loi du 30 juin 2004 participe à hauteur de 11% aux dépenses relatives à la dépendance. Mise en place en mai 2005, la CNSA est, depuis le 1er janvier 2006, chargée de financer les aides en faveur des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées ainsi que d’assurer une mission d’expertise, d’information et d’animation pour suivre la qualité du service rendu aux personnes. La CNSA participe à la prise en charge de la dépendance par des actions de modernisation et de soutien au secteur. Elle reverse notamment aux départements une partie des fonds collectés au titre de la cotisation de solidarité pour l’autonomie qui a été créée par la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.
Enfin, l’État participe à hauteur de 5% des dépenses de la dépendance à travers divers dispositifs fiscaux comme les crédits d’impôt ou les exonérations. Selon un chiffrage effectué par la direction de la législation fiscale du ministère du budget et portant sur la loi de finances 2011, environ un milliard d’euros de dépenses fiscales bénéficient aux personnes âgées dépendantes. Il s’agit d’une approximation dans la mesure où certaines dépenses ne sont pas exclusivement ciblées sur les personnes âgées dépendantes mais visent une population plus large comme les personnes âgées ou les personnes handicapées.
3) La prise en charge de la dépendance par les acteurs privés
Selon le rapport Fragonard, les ménages contribuent fortement à la prise en charge de la dépendance mais leur implication reste peu valorisée. Les personnes âgées ou leurs familles couvrent le reste du coût de la dépendance, soit environ 10,4 milliards d’euros. Ce sont elles qui participent grandement au paiement du reste à charge en établissement qui s’élevait en 2007 à près de 1 500 € par mois. Alors que le secteur public est particulièrement engagé dans la prise en charge des frais liés aux soins et aux besoins quotidiens, les familles le sont davantage dans le financement des frais d’hébergement.
L’enquête Handicap Incapacité Dépendance (HID), réalisée par l’INSEE et la DREES en 1998, a mis en exergue le poids des aidants non professionnels, dont le nombre est estimé à 3,7 millions de personnes. L’aidant familial intervient à de multiples niveaux dans la prise en charge de la perte d’autonomie. Il aide souvent lors des premiers signes de la perte d’autonomie, puis à réaliser les démarches administratives notamment si des problèmes psychiques surviennent. Enfin, il intervient en complément des aidants professionnels lorsque la dépendance est importante.
La participation du secteur privé à la dépendance reste pour le moment marginale. Des produits d’assurance dépendance existent pourtant. Actuellement, selon la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), 5,5 millions de personnes sont couvertes contre le risque de perte d’autonomie. Ces épargnes peuvent être constituées de deux façons différentes. La première solution est la souscription individuelle d’une personne à un contrat d’assurance contre le risque de dépendance auprès d’une compagnie d’assurance ou d’une mutuelle. Certaines assurances, comme AG2R La Mondiale, se lancent dans la couverture de la dépendance. Aujourd’hui, 1,5 million de personnes ont déjà souscrit un contrat dépendance individuel. La seconde solution, qui est la plus répandue repose sur l’offre de certains employeurs de garanties dépendance dans le cadre de contrats collectifs de prévoyance. Ce marché reste actuellement peu développé.
C) Les aides et mécanismes de prise en charge
1) L’Allocation Personnalisée à l’Autonomie
La loi n°2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie instaure le droit à l’APA pour toute personne « incapable d’assumer les conséquences du manque ou de la perte d’autonomie lié à son état physique ou mental ». Pour financer cette nouvelle allocation, la loi crée le Fonds de financement de l’allocation personnalisée d’autonomie (FFAPA remplacé par la CNSA en 2005). Cette allocation qui peut être demandée par toute personne de plus de 60 ans dispose de certaines caractéristiques d’une prestation de sécurité sociale :
- Elle est universelle ;
- Son barème et ses modalités d’attribution sont fixés au niveau national ;
- Elle ne fait pas l’objet de recours sur succession ;
- Depuis 2004 et la création de la contribution de solidarité pour l’autonomie, elle est pour partie financée par une recette s’apparentant à des cotisations sociales.
Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des affaires sociales, 1.203.000 personnes âgées dépendantes bénéficiaient de l’APA au 31 mars 2011 en France et dans les DOM, soit une augmentation de 2,6% sur un an. Parmi elles, 734 000 personnes âgées ont directement perçu l’APA à domicile, et 466 000 personnes ont bénéficié de l’APA en établissement. Près de la moitié des bénéficiaires de l’APA est évaluée en GIR 4 (45%). Ces personnes modérément dépendantes sont plus nombreuses à domicile (58%) qu’en établissement (24%). Le montant moyen du plan d'aide pour les personnes qui résident à domicile est de 493 euros par mois. Ce montant moyen varie avec le degré de perte d'autonomie, d'environ 1 004 euros pour les bénéficiaires évalués en GIR 1 à 348 euros pour les GIR 4. Selon des estimations publiées dans la synthèse du débat national sur la dépendance[3] en 2011, la dépense effective totale d’APA progresserait de 10 à 20 % d’ici 2025 et de 35 à 55 % d’ici 2040.
Les bénéficiaires de l’APA peuvent bénéficier d’allègements de charges possibles par l’emploi d’une aide à domicile (exonération des cotisations patronales de sécurité sociale), sous les conditions suivantes : être âgé d’au moins 70 ans, ou avoir plus de 60 ans et être dans l’obligation de recourir à l’assistance d’une tierce personne pour effectuer les gestes quotidiens.
La loi n° 2003-289 du 31 mars 2003 portant modification de la loi du 20 juillet 2001 sur l’APA définit a modifié notamment les règles de fonctionnement du Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (FFAPA).
2) L’aide sociale à l’hébergement
Le département n’est pas uniquement chargé de la prise en charge de l’APA. En effet, il s’occupe aussi de l'aide sociale à l'hébergement (ASH) et à ce titre peut régler une partie des frais d'hébergement des personnes âgées en établissement.
3) L’aide sociale légale
L’aide sociale légale est un dispositif dont peuvent profiter les personnes non titulaires de l’APA. Cette aide, versée par le département permet de faire intervenir un prestataire pour les travaux ménagers, les courses, l’accompagnement dans les démarches à réaliser à l’extérieur. Ces heures d’aide sociale légale sont assurées par des prestataires, signataires d’une convention avec le département ou par le Centre Communal d’Action sociale de la ville (CCAS). Elles sont limitées à 60 heures par mois et l’aide est accordée pour une durée de 5 ans. Les conditions pour en bénéficier sont les suivantes :
- Etre âgé de plus de 65 ans ou d’avoir entre 60 et 65 ans en étant déclaré « inapte au travail »,
- Vivre seul ou d’être en situation d’isolement au moins 6h par jour,
- Avoir des ressources inférieures au plafond permettant l’allocation de solidarité aux personnes isolées,
- Etre habitant du département depuis au moins trois mois, ou pour les étrangers hors Europe de disposer d’un titre en cours de validité et d’avoir en France pendant 15 ans avant l’âge de 70 ans.
4) L'aide au maintien à domicile pour les retraités de la Fonction publique
Cette aide intègre l’aide à domicile et l’aide à l’habitat et cadre de vie, qui permet de financer des travaux d’aménagement du logement ou l’achat et la pose de matériel spécifique à domicile. Ce soutien n’est pas cumulable avec l’APA et le montant de l’aide de l’Etat est variable selon les ressources. Les critères pour bénéficier de cette aide sont les suivants :
- Etre fonctionnaire retraité de l’Etat, titulaire d’une pension civile de retraite régie par le code des pensions civiles et militaires de retraite de l’Etat,
- Etre ouvrier d’Etat retraité, titulaire d’une pension de retraite servie au titre du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’Etat,
- Etre ayant-cause (veuf ou veuve non remarié-e) des bénéficiaires, titulaire d’une pension de réversion, si on ne touche pas d’autre prestation de même nature,
- Etre âgé d’au moins 55 ans,
- Avoir une perte d’autonomie assimilée au GIR 5 ou 6.
Le système actuel de prise en charge de la dépendance sera amené à évoluer dans les prochaines années car il ne présente plusieurs limites et ne pourra pas dans l’état actuel répondre de manière satisfaisante à l’accroissement du nombre de personnes âgées dépendantes.
III) Le système actuel de prise en charge de la dépendance touche à ses limites
Le système actuel se caractérise par une prise en charge partielle et très inégale de la dépendance, qui fait peser la charge de ce risque sur les familles des personnes victimes d’une perte d’autonomie. Outre ces faiblesses intrinsèques, la politique de la dépendance va devoir faire face au vieillissement de la population qui représente un défi tant par la hausse du nombre de personnes potentiellement affectées par ce risque que par l’accroissement significatif des dépenses qui en résultera.
A) Une couverture partielle et inégale
La couverture offerte par le système de prise en charge de la dépendance est à la fois partielle et inégale. Le groupe « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées » qui a participé au débat national sur la dépendance, estime dans son rapport final que la couverture publique de la dépendance varie entre 67 % et 77 %. Il constate que, si ce taux de couverture est en France supérieur de 0,2 point de PIB à la moyenne européenne (1,4 % contre 1,2 % du PIB), il n’est pas homogène suivant les types de coûts engendrés par la dépendance (soins, perte d’autonomie, hébergement). En matière de perte d’autonomie et de soins, les dépenses sont largement socialisées. Les financements d’origine publique atteignent 82 % des dépenses liées à la perte d’autonomie, et entre 95 % et 99 % pour celles relatives aux soins, puisqu’elles sont essentiellement financées par l’assurance maladie ou la CMU complémentaire. En revanche, les dépenses relatives à l’hébergement incombent principalement aux personnes âgées ou à leur famille, qui en assurent près de 81 % du total. Dans une étude parue en 2011, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a estimé que cette dépense en établissement équivalait à 1938 euros mensuels, dont seulement un quart du total, soit 470 euros par mois, est assuré par la dépense publique.
Le reste à charge, autrement dit, ce que les personnes souffrant de la perte d’autonomie ou leur famille doivent payer, une fois les aides publiques déduites, s’élève à près de 1 500 euros par mois. De même, selon cette même étude, le reste à vivre, que l’on peut définir comme la différence entre le revenu de la personne et son reste à charge, est globalement négatif (261 € par mois), notamment en raison d’un non recours à l’aide sociale à l’hébergement (ASH), situation qui concerne près de la moitié de ses bénéficiaires potentiels. La persistance de ce reste à charge suppose donc de trouver d’autres sources de financement. Il s’agit essentiellement des revenus des personnes victimes d’une perte d’autonomie, de la mobilisation de leur patrimoine ou encore des subsides de leur famille. Il est néanmoins difficile d’estimer la part respective de ces différentes sources puisqu’il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude permettant d’évaluer de manière fiable les modalités de ce financement privé. Tout juste sait-on que l’assurance privée joue encore un rôle mineur dans la réduction de ce reste à charge, bien que ce type de couverture connaisse depuis quelques temps un certain regain d’intérêt. Ces contrats d’assurance privés sont en effet facultatifs, concernent principalement la dépendance élevée et demeurent hétérogènes dans l’étendue de leur couverture.
Enfin, si le système français présente certaines carences, notamment dans la prise en charge des frais d’hébergement des personnes dépendantes, force est de constater que celui-ci offre globalement une couverture de la dépendance satisfaisante. Les comparaisons internationales ne révèlent pas un manque d’effort public. C’est donc moins au niveau du montant de la dépense publique que sur la répartition des aides que la réflexion doit s’inscrire.
B) Les familles sont lourdement affectées par la dépendance de leurs proches
Un second reproche adressé à la politique de la dépendance est qu’elle fait reposer la charge de ce risque sur les familles, tant d’un point de vue financier qu’en termes de responsabilités. Ce sont les familles dites à revenus intermédiaires (entre 1200 et 1800 euros mensuels) qui supportent les coûts les plus importants, puisqu’elles ne bénéficient ni de l’aide sociale, ni de réductions fiscales. En cas d’hébergement de la personne âgée en établissement, le reste à charge demeure particulièrement élevé. Ceci les contraint à opter pour un accueil à domicile, auquel elles sont souvent mal préparées.
Si, comme cela a été évoqué au début de cet exposé, la prise en charge de la dépendance relevait historiquement de la responsabilité de la famille, les transformations de notre société nécessitent aujourd’hui le recours à une autre forme de solidarité. En raison de l’augmentation du nombre de femmes occupant un emploi salarié ainsi que de la fragmentation des familles (hausse des familles monoparentales ou recomposées), les rapports intergénérationnels ont profondément évolué. Ceci n’est pas sans conséquence sur la prise en charge par la solidarité familiale d’un proche affecté par une perte d’autonomie.
La question de la situation des aidants, que l’on peut définir comme une personne qui prend soin, par défaut ou par choix, sans rémunération, d’un membre de sa famille ou d’un ami, qui n’est plus capable d’assumer seul les actes de la vie quotidienne, a été l’un des principaux points de discussion du débat national sur la dépendance. Il y aurait actuellement, selon une étude de Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, près de 8,3 millions d’aidants en France. Ce sont majoritairement des femmes (57 %). Selon le degré de dépendance de la personne, ce rôle d’aidant peut être assimilé à un emploi à temps plein, qu’il est difficile de concilier avec une vie professionnelle ou même familiale.
Ces aidants sont des acteurs de premier plan de la politique de la dépendance, mais leur statut n’est pas véritablement reconnu. Ils sont fréquemment soumis au stress, à l’isolement, l’épuisement voire la dépression. Ces maux sont susceptibles de rejaillir sur la situation même des personnes dépendantes en se traduisant par des actes de maltraitance. Il ne s’agit pas forcément d’un comportement délibéré, mais bien souvent de négligence ou tout simplement d’une incapacité, faute de formation, de répondre aux besoins que requiert la pathologie dont souffre le proche.
C) Les défis posés par l’évolution de la démographie
Les défis sont de deux ordres : la prise en charge des personnes dépendantes, dont le nombre est appelé à augmenter fortement dans les prochaines décennies, et le financement du système, car les dépenses vont mécaniquement croitre sous l’effet du vieillissement de la population.
1) Les projections démographiques
Alfred Sauvy, économiste et démographe français, disait que « le vieillissement de la population [serait] le fait social le plus important de la seconde moitié du XXe siècle ». Cette citation conserve toute son acuité en ce début de XXIe siècle puisque, malgré un taux de natalité soutenu, la population française vieillit. La France va devoir faire face dans les prochaines décennies à l’arrivée des générations du baby-boom au grand-âge. A l’horizon 2030, elles atteindront 80 à 85 ans.
Selon les projections de l’INSEE, le nombre de personnes de plus de 80 ans ne devrait cesser de croitre, passant de 3 millions en 2007 à 6,1 millions en 2035, puis à 8,4 millions en 2060. Il semble difficile d’estimer à moyen-long terme le nombre de personnes susceptibles d’être touchées par une perte d’autonomie. Comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans son rapport de 2011 sur « La dépendance des personnes âgées », l’espérance de vie en bonne santé peut être influencée positivement par les progrès thérapeutiques (en particulier la maladie d’Alzheimer) ou négativement par la progression des maladies chroniques. Néanmoins, le risque de perte d’autonomie augmente en principe avec l’âge (2 % entre 60 et 69 ans, 10,5 % à 80 ans et 30 % à 90 selon cette même étude) et, à partir de 80 ans, les probabilités de rémission sont quasi nulles.
L’INSEE a esquissé trois scénarii possibles d’évolution de la dépendance :
- Hypothèse pessimiste : l’âge d’apparition de la morbidité reculerait moins vite que celle du décès. Il en résulterait une augmentation de la durée de vie en dépendance.
- Hypothèse médiane : l’âge d’apparition de la morbidité et celui du décès évolueraient en parallèle.
- Hypothèse optimiste : l’âge d’apparition de la morbidité reculerait plus vite que celui du décès. L’espérance de vie sans incapacité à partir de 65 ans augmenterait par conséquent.
Les évolutions constatées à l’étranger tendent à privilégier le scénario médian, c'est-à-dire celui d’une stabilité de la durée moyenne en situation de dépendance. Mais le basculement attendu des générations du baby-boom dans le grand âge va mécaniquement entrainer une hausse du nombre de personnes âgées dépendantes. Elles devraient augmenter de 35 % en 2030 et doubler d’ici à 2060. Toutefois, cette hausse serait moins forte à partir de 2045 en raison de l’extinction des premières générations du baby-boom. En termes absolus, les personnes âgées dépendantes augmenteraient de 40 % entre 2010 et 2030, passant de 1,1 million à 1,5 million, puis doubleraient entre 2010 et 2060, pour atteindre 2,3 millions de personnes.
2) Le financement du système
Ce vieillissement attendu de la population suscite un certain nombre d’inquiétudes quant à l’évolution des dépenses liées à la dépendance. Elles représentent 2 % du PIB en 2010 (dont 1,4 % d’origine publique) pour un montant total de 34 milliards d’euros (24 milliards correspondant à l’intervention publique, 10 milliards à l’intervention privée). Selon les travaux du groupe chargé des « Perspectives démographiques et financières de la dépendance » qui a participé au débat national sur la dépendance, les dépenses, publiques et privées confondues, devraient augmenter de façon limitée jusqu’en 2025, puis de façon plus marquée par la suite. Cette hausse resterait néanmoins maitrisée puisque les personnes âgées dépendantes ne représenteront toujours qu’une faible partie de la population générale (2,8 % en 2040 selon les prévisions).
Le financement des dépenses publiques de santé s’avère en revanche plus problématique pour l’allocation personnalisée d'autonomie (APA). Cette mesure est en théorie financée à hauteur des 2/3 par les départements (davantage dans les faits) et grève lourdement leur budget, le reste étant assuré par l’Etat. Les prévisions montrent que le financement de cette aide n’est guère soutenable. Son coût devrait augmenter de 10 à 20 % d’ici à 2025 et de 35 à 55 % d’ici à 2040, pour ainsi passer sur cette période de 4,7 milliards d’euros à 13 milliards d’euros.
Le rapport Jamet de 2010 sur les finances départementales a montré que la couverture de la dépendance variait fortement suivant les territoires. Le degré de la perte d’autonomie est en effet évalué par la grille nationale AGGIR qui comporte six niveaux. Or, le GIR 4, qui est le dernier échelon ouvrant droit à l’APA n’est pas suffisamment précis et caractérise en réalité des niveaux de dépendance qui diffèrent sensiblement. Ce rapport constate l’existence fortes disparités entre départements concernant la reconnaissance de ce niveau de dépendance. La part des bénéficiaires de l’APA relevant du GIR 4 représente ainsi en moyenne 45 % du nombre total de bénéficiaires. Mais la dispersion est assez marquée puisque cette part oscille entre 30 % et 51 % suivant les départements. Alors qu’elle ne parvient pas actuellement à répondre aux besoins des dépendants et laisse un reste à charge important pour les familles, il pourrait y avoir dans l’avenir un accroissement significatif des disparités territoriales liées à la situation financière de chaque département. Ceux-ci font face à un phénomène d’effet ciseau, se traduisant par une hausse des dépenses et une baisse des recettes, en raison notamment d’une faible capacité à utiliser le levier fiscal pour lever de nouveaux financements. D’où la proposition d’un recours sur succession pour pérenniser cette aide voire plus radicalement de la suppression de la gestion de cette aide par les départements, qui l’on pourtant réclamée lors de sa création.
Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées, dit de la dépendance qu’il s’agit d’« un défi politique majeur auquel il faut apporter des réponses dans la décennie ». Le système actuel se caractérise par une prise en charge parcellaire et d’inégale qualité, suivant le lieu de résidence des intéressés mais aussi suivant le type de prestation concerné. Afin de résoudre ces inégalités financières et de moyens qui affectent les personnes souffrant d’une perte d’autonomie, certains proposent de faire de la dépendance un 5e risque aux côtés des quatre branches traditionnelles de la sécurité sociale : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et veuvage et famille. Ce nouveau champ de protection sociale serait financé de manière solidaire, par l’ensemble des contribuables ou assurés. Les personnes âgées dépendantes ne seraient plus discriminées en raison de différences de revenus, d’âge ou de situation géographique. Le débat national sur la dépendance lancé en 2011, puis rouvert sous l’actuel gouvernement de Jean-Marc Ayrault a permis de proposer un certain nombre de pistes de réformes…
IV) Les réponses proposées à la prise en charge de la dépendance
La prise en charge de la dépendance par l’institution d’un 5ème risque et d’une 5ème branche de la sécurité sociale spécifiquement dédiée à la dépendance semble être la réponse la plus ambitieuse et adaptée qui ait été évoquée à ce jour. On observe néanmoins un effacement du 5ème risque dans les propositions actuelles de réforme et la mise en place de dispositifs éparses sans véritable vision d’ensemble.
A) L’objectif ambitieux de programme de N. Sarkozy d’instituer un 5ème risque relatif à la dépendance est au cœur du débat national depuis 2007.
Pour de nombreux auteurs, comme Jean Claude Henrard, l’instauration d’un 5ème risque comme nouveau champ de la protection sociale spécifiquement dédiée à la dépendance serait une solution à la fragmentation et à la complexité des dispositifs d’aide et de soins, ainsi que des acteurs. C’est à partir de 2007, sous N. Sarkozy que sont pour la première fois posé les questions relatives à la définition du périmètre de ce 5ème risque, à ses sources de financement et à l’organisation de la gouvernance en matière de dépendance. Ce 5ème risque a d’abord envisagé, sur la base de la « classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé de l’OMS de 2001 », le rapprochement de la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et celle des personnes handicapées. Ce 5ème risque couvrirait ainsi les personnes en situation de handicap de longue durée quel que soit l’âge, qu’il distingue des personnes en situation d’affectation de longue durée sans handicap, qui relèvent du risque maladie.
Il se traduirait concrètement par une compensation pour l’autonomie attribuée aux personnes âgées et handicapées, conçue comme un droit universel, quels que soient l’âge et le handicap de la personne, et qui permettrait d’évaluer ses besoins d’aide à l’autonomie et d’élaborer un plan personnalisé de compensation. L’institution d’un cinquième risque suppose également une réforme de la gouvernance au niveau de la délivrance des prestations et services, qui génèrent souvent, de par leur redondance, des dépenses indues. Par conséquent, a été envisagé de mieux articuler les acteurs de première ligne (cad médecins, auxiliaires, aides à domicile) avec les acteurs de deuxième ligne (cad les hôpitaux) afin de dégager des moyens financiers et humains nécessaires au financement des formations des professionnels de l’aide et au développement de leur attractivité.
Pour l’ancienne secrétaire d’Etat à la solidarité du gouvernement Fillon II, La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) était destinée à être l’agence chargée de gérer les sources de financement de ce 5ème risque et d’être l’interlocuteur des ARS pour sa mise en œuvre. Cependant, pour Jean Claude Henrard, la responsabilité de l’élaboration et du suivi des plans d’aide doit être assumée au niveau d’entités territoriales plus locales. Cela suppose le développement de groupements professionnels de soignants de première ligne, animés par des référents professionnels se coordonnant avec les médecins généralistes, les services de soutien à domicile, et les équipes d’hôpitaux. Ce serait pour certaines municipalités l’occasion de réactiver leur centre de santé en les adossant aux ressources foncières et humaines d’hôpitaux locaux ou de centres plus importants. Il s’agit d’éviter le recours à l’hospitalisation et aux services d’urgence, de limiter la redondance des examens et prescriptions et ainsi diminuer des coûts et dégager des moyens financiers pour développer le soutien à domicile et le nombre de professionnels. Cette concentration des dispositifs permettrait également de faciliter l’évaluation et le ciblage des besoins et ressources pour améliorer la qualité des services. Elle assurerait la décentralisation de la gestion et la dispensation des soins de longue durée à un niveau très local et responsabiliserait les acteurs. Le succès de la mise en place de ce 5è risque nécessite un financement solidaire par tous les contribuables ou assurés, qui porte la volonté de renforcer des valeurs fondamentales de solidarité qui sont à la base de notre modèle social. Le financement de ce 5ème risque n’opposerait plus en effet les catégories des actifs et retraites, les jeunes et les âgés, mais proposerait un financement multi générationnel assis sur les ressources globales d’une personne (revenus et patrimoine). Cela offrirait une réponse juste et rentable à la dépendance, ainsi qu’une couverture large qui pourrait éventuellement être complétée par un système assurantiel.
B) Les réponses envisageables au regard des travaux des groupes du débat national sur la dépendance.
A la fin du mandat de N. Sarkozy, en 2011, a été lancé le colloque sur la dépendance organisé au Conseil économique, social et environnemental, qui inaugurait officiellement le grand débat national sur la dépendance. De nombreux rapports ont été publiés, mais il semble que l’objectif de faire de la dépendance le 5ème risque a finalement ait été quelque peu relégué au second plan.
Depuis 2011, les grandes orientations pour la réforme du système de prise en charge de la dépendance concernent prioritairement l’amélioration du maintien à domicile (en termes de qualité et de coût), la recherche de solutions de financement évolutives et un recours à l’articulation de la solidarité nationale et des précautions individuelles.
1 – Adaptation
La plupart des rapports mettent en avant la priorité d’une politique de prise en charge de la dépendance sur le maintien à domicile. C’est cependant sans perdre de vue le fait que des mesures de financement immédiates sont nécessaires à afin de garantir la qualité des établissements. Pour ce faire, il a été proposé (rapport Rahola) de formaliser un projet d’accompagnement des personnes en fin de vie dans les établissements médico-sociaux.
2 – Gouvernance
Le rapport de la Fédération Hospitalière de France de 2010 réaffirme le rôle central que devrait jouer le CNSA dans la gouvernance du 5ème risque en devenant une véritable caisse d’autonomie regroupant l’Etat, les départements et les partenaires sociaux. Tout comme les propositions du MEDEF et de l’ADF de 2011 et qui encouragent le renforcement du pilotage et de la gouvernance de la CNSA.
Le rapport CESE de 2011 propose d’inscrire un nouveau droit universel de compensation de la part d’autonomie qui serait géré localement au niveau des départements, et piloté au niveau national par la CNSA.
La gouvernance prend aussi en compte l’organisation d’un parcours de soins coordonné de prise en charge de la personne. Pour ce faire, le rapport du CESE de 2011 propose : de mettre en place un guichet unique d’information et d’orientation pour apporter informations et conseils aux personnes et à leurs familles, de créer un nouveau métier de coordonnateur sanitaire et social, de transformer les Maisons départementales du handicap (MDPH) en Maisons départementales de l’autonomie (MDA) avec un financement pérenne, de poursuivre le développement de réseaux de santé gérontologiques, de regroupements de professionnels, et de dresser un bilan d’ici 2014 afin de décider d’une forme d’organisation harmonisée sur le territoire.
3 – Prévention
La France se distingue notamment par une insuffisance des politiques de prévention comparé à d’autres pays comme le Japon, où les politiques ont déjà beaucoup anticipé le vieillissement accéléré de la société, et l’Allemagne, qui a mené une politique de sensibilisation des entreprises au vieillissement démographique en créant une assurance-dépendance. Le Royaume-Uni également s’est doté d’une stratégie interministérielle portant sur l’adaptation du logement et de l’urbanisme, ainsi que sur la simplification de l’information envers les personnes âgées (à travers les Plans Gordon Brown de 2008 et Cameron de 2011).
Afin de mieux prévenir le risque de dépendance, le rapport de Valérie Rosso Debord de 2010 propose la mise en place d’une consultation gratuite de prévention pour les personnes âgées de plus de 60 ans ainsi que la souscription obligatoire à une assurance liée à l’âge à partir de 50 ans (sur la base de ce qui se fait en Allemagne et au Japon) dont l’universalité serait assurée par la mutualisation des cotisations et la création d’un fonds de garantie.
Le rapport de l’UNAF de 2011 conseille d’intégrer le vieillissement de la population dans l’ensemble des politiques publiques et de développer une approche préventive en harmonisant le dispositif de prise en charge des personnes âgées dépendantes avec celui des personnes handicapés.
Il ressort de l’ensemble des dispositions la nécessité de promouvoir l’activité professionnelle, associative et sportive des séniors pour prévenir la dépendance et de renforcer le suivi des plus vulnérables à la dépendance.
Pour retarder au maximum la perte d’autonomie et réaliser des économiques, de nombreuses actions sont déjà menées par les mutuelles, groupes de prévoyance, régimes de retraite complémentaire AGIRC ARCCO qui financement des bilans de prévention, ou encore la CNAV qui fait bénéficier un plan d’action personnalisé à 400 000 retraités. La réforme à venir souhaite aller plus loin dans la prévention (dépistage, lutte contre la surmédicamentation, surveillance des signes de dépression…) pour économiser 10 milliards d’euros (selon l’Assemblée des départements de France).
4 – Financement
Les dépenses actuelles de la dépendance s’élèvent à 34 milliards d’euros dont 22 milliards à la charge de l’Etat. En 2040, 10 milliards d’euros supplémentaires seront nécessaires pour prendre en charge les nouvelles personnes dépendantes. Plusieurs propositions financières sont faites pour pouvoir répondre à cette augmentation.
Tout d’abord a été soulevé la nécessité de financer au titre du grand emprunt national des actions de recherche et de développement sur les gérontechnologies d’aide à l’autonomie, et de subventionner les PME innovantes dans ce secteur (rapport 2010 Valérie Rosso Debord). Le rapport de l’UNAF plaide également pour une prise en charge publique et universelle de la dépendance dans le cadre de la protection sociale et sans recours au marché de manière complémentaire. D’après ce rapport, les financements dédiés à la dépendance pourraient être accrus par un alignement du taux plein de le CSG sur les pensions de retraite (6,60%) sur celui des actifs (7,50%) et par la transformation de la contribution solidarité autonomie en une contribution sociale généralisée. Cependant, Kupiec et Lelong remettent en cause cette hypothèse d’augmentation de la CSG (dans la fabrique des centenaires, 2013) : la CSG étant une contribution et non un impôt, cela induirait une perte de pouvoir d’achat pour les retraités et nuirait à la compétitivité des entreprises. Ils préconisent plutôt la mise en place d’une prestation universelle, à assiette large, dédiée uniquement au financement de la perte d’autonomie. Pour Kupiec et Lelong, une des principales hypothèses envisageable est la fiscalisation du patrimoine pour financer la dépendance. Sur le modèle du Japon, il apparaît possible de solvabilité le grand âge en reculant l’âge de départ à la retraite, et en fiscalisant le patrimoine avec un faible taux sur une assiette large.
Les propositions du MEDEF de 2011 vont aussi dans le sens d’un financement public dominant par la solidarité nationale et de la multiplication des opérations de partenariat public-privé pour développer les compléments assurantiels, ainsi qu’un renforcement de l’APA pour les revenus les plus modestes.
Quant au rapport CESE de 2011 (Weber et Verollet), il préconise le développement d’une offre d’établissements accessible à tous en faisant jouer un rôle moteur à la caisse des dépôts et consignations. Il préconise en outre l’élaboration et la mise en place des référentiels de coûts d’hébergement, et la réflexion à la mise en place de prêts locatifs (un prêt locatif aidé d’autonomie sur le modèle du prêt locatif aidé d’insertion).
5 – Soutien des aidants
L’enjeu du financement de la dépendance est aussi le soutien aux aidants notamment par la réduction du reste à charge qui pèse sur les familles et les professionnels aidants. L’apparition de familles de 4 ou 5 générations implique la nécessaire intégration des grands parents et arrière grands parents dans la politique familiale, car ce serait soutenir leur participation au maintien d’un lien social intergénérationnel.
Le rapport de la Fédération Hospitalière de France de 2010 préconise de limiter le reste à charge des familles aux prestations relatives à l’hébergement des personnes, à l’exclusion de la dépendance et des soins qui relèveraient de la solidarité et de l’assurance maladie. le rapport HCF de 2011 préconise la systématisation de l’offre d’accompagnement pour les aidants familiaux, la facilitation de l’articulation entre aide et vie professionnelle ainsi que la mise en place d’un bouclier dépendance comme mécanisme permettant de limiter les restes à charge en cas de très longues durées de vie en dépendance et d’éviter le puiser excessivement dans le patrimoine.
Renforcer la politique d’aide aux aidants suppose un travail de formation et d’information sur les aides et soutiens existants ainsi que la structuration des aides utilisé au niveau départemental (logique de proximité pour évaluer l’aide et attribuer l’APA).
6 – Une opportunité pour l’emploi
La dépendance est aussi une opportunité économique majeure grâce aux emplois liés aux services à la personne et aux demandes en gérontechnologies. Les rapports préconisent également un encouragement de la recherche et du développement dans le domaine de la gériatrie (le rapport Broussy de 2013 propose la création d’une agence nationale des technologies de l’autonomie pour coordonner la recherche).
Faciliter le maintien à domicile nécessite en effet de repenser certaines règles d'urbanisme (accessibilité, signalétique, adaptation des transports urbains), d'adapter l'habitat (par la domotique, robotique, téléassistance…) pour que les personnes âgées vieillissent dans de meilleures conditions. C'est un autre axe fort de la prochaine réforme, qui pourrait avoir un effet stimulant sur l'économie, car le vieillissement créé de nouveaux besoins. Pourrait être envisagé la création d’une filière industrielle dans ces secteurs. 350 000 postes (d’infirmiers, d’aide-soignant et à domicile) devraient être créés au cours des dix prochaines années, selon la Dares.
Le rapport Broussy met en avant le rôle de régulateur (par la création de labels, « ville amie des aînés ») et d’impulsion (communication) de l’Etat pour favoriser l’action des industriels.
7 – Les gérontechnologies
Une autre proposition sur laquelle insistent de nombreux rapport est le développement des gérontechnologies, qui mobilise également la notion de « culture du domicile » (soit une conception sacralisée du domicile avec l’idée qu’il concentre les valeurs d’individualisme, d’autonomie et d’initiative de la société moderne). Les gérontechnologies sont des nouvelles technologies qui apparaissent comme une réponse de court et moyen terme pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées. Il s’agit donc de compenser en partie la perte d’autonomie et de sécuriser l’habitat (développement des mécanismes de téléassistance, d’alerte, etc).
Mais cela suppose un bouleversement du quotidien des personnes âgées, qui sont peu habituées à l’apport de technologies pour répondre à leurs besoins, ce qui rend leur acceptation plus difficile. Contrairement aux Anglo-saxons, aux nordiques ou aux Japonais, les Français ne sont pas encore matures en matière d’aides techniques et s’attendent à ce qu’elles soient prises en charge par la collectivité ou la Sécurité Sociale comme s’ils devaient relever du sanitaire.
C’est donc plutôt vers une prise en charge par le marché que s’oriente le développement des gérontechnologies. Les pouvoirs publics se contenant à mettre en place une stratégie de communication autour de ces technologies encore peu connues, pour médiatiser leur existence et favoriser leur acceptation.
Enfin, le développement de ces gérontechnologies n’est pas sans soulever un débat éthique : d’un côté, ceux pour qui ce développement risque de faire oublier que c’est d’abord du contact social et humain dont ont besoin des personnes dépendantes (notamment les malades d’Alzheimer) ; de l’autre, ceux pour qui ces technologies sont synonyme de « bien vieillir » (en améliorant la sécurité des personnes seules, notamment par la domotique, des détecteurs de fuites de gaz ou d’eau ; en prenant mieux en charge le suivi de la santé à travers des capteurs pour la nutrition, le poids, etc ; en favorisant la télémédecine (un usage que définit déjà la loi HPST du 13/08/2004) ; en améliorant la communication avec l’entourage (visioconférences) ; en améliorant considérablement le confort du quotidien et la mobilité).
L’utilisation des gérontechnologie est aujourd’hui considérée comme admise en France. C’est sur un problème éthique de prise en charge individuelle ou collective de ces nouvelles technologies que le débat semble se poursuivre.
C) Les grandes tendances qui se profilent
On remarque que la dépendance est l’objet d’une multitude de débats et de propositions de réformes qui contraste avec le relatif attentisme des pouvoirs publiques. Il n’y a pas véritablement eu de réforme globale de la dépendance jusqu’à aujourd’hui, ci ne n’est des mesures éclatées et de moindre ampleur. Le gouvernement Ayrault annoncé une grande réforme pour 2015. Il a lancé une Concertation sur la Loi Autonomie en novembre 2013, avec les départements, les maisons de retraite et les partenaires sociaux ; pilotée par Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie. Elle vise à préparer une future loi de programmation et d’orientation sur l’autonomie qui doit être votée par le parlement au printemps 2014. Cette réforme est censée couvrir tout le champ (vision globale) de l'avancée en âge, de la sortie de la vie professionnelle à la fin de la vie, avec trois volets : anticipation et prévention des pertes d'autonomie, l’adaptation de la société au vieillissement et l’accompagnement de la perte d'autonomie (l’aide aux personnes âgées). Les premières mesures devraient s’appliquer dès le 1/01/2015.
La réforme prévoit d’ores et déjà que les retraités imposables seront soumis à une taxe de 0,3% en 2014 pour financer la dépendance. Elle prévoit également une réforme de l’APA qui est aujourd’hui insuffisante dans un cas sur 4 en moyenne. L’ensemble du barème GIR devrait être revu et les efforts de la réforme devraient se concentrer sur 2 axes principaux :
L’adaptation des logements et l’accès aux aides techniques (développement de la « silver économie ») pour favoriser la résidence à domicile des personnes âgées dépendantes.
L’accueil des personnes âgées en maison de retraite et la réduction du reste à charge des résidents des maisons de retraites qui atteint entre 1850 et 2200 euros en moyenne.
Si la convergence entre personnes âgées et handicapées est devenu un peu secondaire dans le débat de réforme de la dépendance, la CNSE continue en 2013 de consacrer par ses ressources propres et les crédits d’assurance maladie qu’elle gère, plus de 21 milliards d’euros au financement des politiques d’aide à l’autonomie à parité entre personnes âgées et handicapées. A cela s’ajoute les financements de l’Etat, de la sécurité sociale et des conseils généraux pour l’aide à l’autonomie.
Cette réforme annoncée se fait à l’heure du bilan du plan de solidarité grand âge prévu pour une période 2007-2012, et du plan « Vieillissement et solidarité » de 2004. Ils avaient pour objectif d’adapter l’hôpital aux personnes âgées grâce à la mise en place d’une filière gériatrique dans les établissements, de financer la création de 5 000 places par an dans les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), d’augmenter le nombre de places en hospitalisation à domicile, et d’atteindre un taux d’encadrement en personnel soignant par personne âgée de 0,65 en 2012. Du fait de la rigueur budgétaire, ces objectifs n’ont pas été totalement remplis.
Pour favoriser le développement des Ehpad, le gouvernement prévoit la mise en place avec les départements et les directeurs des Ehpad d’un groupe de travail en 2014 qui devra réfléchir sur leur financement. Ces deniers sont financés à la fois par l’assurance maladie pour les soins, les départements pour leur part dépendance, et les pensionnaires pour l’hébergement. L’enjeu est notamment d’éviter qu’une hausse des aides aux résidents ne provoque la forte augmentation des loyers de l’Ehpad. D’ici la mise en place de la réforme, la CNSA devrait à hauteur d’une centaine de millions financer certains investissements des Ehpad.
Le CNSA a par ailleurs fait des propositions pour une meilleure continuité des parcours de soins des personnes âgées. Ces dernières mettent l’accent sur l’articulation entre les différentes formes d’accompagnement (familiale, sociale, personnelle, professionnelle…) et impliquent notamment une gouvernance intégratrice au niveau local, des formations communes et outils partagés, l’assouplissement des modalités d’utilisation des crédits par les ARS.
En réponse à ces exigences, le gouvernement finance à hauteur de 1 million d’euros, la mise en place d’une dizaine de dispositifs « prototype » (expérimentaux) sur un nombre restreint de territoires pilotes afin d’améliorer le parcours de soins des personnes âgées, le tout sous la direction des ARS. Il s’agit essentiellement de mesures préventives pour lutter contre le recours abusif à l’hospitalisation, et mieux gérer la sortie d’hôpital. Cela consiste en une rationalisation des différentes interventions des professionnels de santé pour une même personne.
La multiplication des dispositifs masque l’absence de véritables mesures permettant une réforme ample de la prise en charge de la dépendance. La politique de prévention de la dépendance et de priorité au maintien à domicile a tendance à délaisser le problème immédiat du financement de l’hébergement en établissement.
Conclusion
Majoritairement publique, la prise en charge actuelle de la dépendance est réalisée par une multiplicité d’acteurs qui interviennent dans le cadre d’un éventail d’actions divers : L’APA, l’aide sociale à l’hébergement, l’aide sociale légale, l’aide au maintien à domicile pour les retraités de la fonction publique, les EHPAD. Le financement est également divers, et difficile à mesurer : en partie financé par la branche maladie, en partie par la CNSA, en partie par les collectivités territoriales, par l’Etat, et des assurances privées. Ce caractère désorganisé est le fruit de l’histoire de la construction du 5ème risque, élaboré par une succession de réformes éclatées, qui se rapproche davantage d’un bricolage plutôt que d’un plan construit. En conséquence, la couverture se révèle partielle et inégalitaire tout en étant particulièrement coûteux pour les familles des dépendants. De plus, ce financement devra être de plus en plus important – de par une démographie défavorable, rendant la nécessité d’une réforme de plus en plus prégnante. Le futur de la dépendance nécessitera toutefois une réforme importante qui ne se contente pas de rajouter un étage à un ensemble discordant – mais qui ambitionne d’organiser et de rationaliser le système de la dépendance. C’est ce qu’a annoncé faire le gouvernement Ayrault, qui a évoqué une grande réforme de la dépendance pour l’horizon 2015.
Elle devra aussi contribuer à un changement d’image de la dépendance, de la vieillesse : s’étant en effet dégradées en Europe depuis environ un siècle. Aujourd’hui, de plus en plus perçus comme des poids, toutes leurs responsabilités leurs sont ôtés, et ils sont aujourd’hui de plus en plus éloignés de la société. La vieillesse, c’est en Occident « le déclin, le crépuscule, l’hiver, le soir » écrit ainsi Léandre Nshimrimana, psychologue dans un article Vieillesse et culture. Il continue sa réflexion en invoquant les noms des établissements d’accueil : « Paradoxalement, dans la manière de nommer les maisons pour person nes âgées, on recourt à de belles métaphores, comme si la vieillesse ne devenait belle et agréable, pleine de dignité et de respect qu’une fois mise à l’écart de la société ». « La Sérénité », « La quiétude », l’Age d’or », « le Rivage-joie », « la Passerelle » en sont des exemples. « Essais de neutralisation par les mots, ou de dire sans dire, en contournant la censure collective, comme dans les mots d’esprit, une réalité désagréable, celle de la tristesse de la vieillesse isolée ou abandonnée ? ».
[1] « Stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées », modéré par Bertrand Fragonard et rapporté par Axel Rahola, juin 2011
[2] Les défis de l’accompagnement du grand âge. Perspectives internationales pour éclairer le débat national sur
la dépendance a été réalisé par le Centre d’analyse stratégique, en collaboration avec la DREES.
[3] RAHOLA Axel, Synthèse du débat national sur la dépendance, Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, 2011.
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