Le vieillissement, comme l’essentiel des phénomènes sociétaux majeurs, suscite des craintes et des interrogations dans les pays qui le vivent. Par exemple, Hakim el Karoui, dans son essai intitulé la lutte des âges, accuse le vieillissement d’être un des facteurs ayant conduit à la crise économique que connait l’Europe occidentale. Il ajoute que les personnes âgées, par leur influence électorale importante en France, empêcheraient toute réforme de la sécurité sociale qui leur est défavorable, la condamnant à un déficit perpétuel.
Sans aller jusque dans ce catastrophisme, le vieillissement demeure toutefois une réalité observable et statistiquement définissable, et constitue une évolution de fond des sociétés occidentales. Il se caractérise par un double mouvement : d’une part, une augmentation de la moyenne d’âge de la population ; d’autre part, un accroissement de la part des personnes âgées dans la population totale, et de facto, du ratio d’actif/inactifs. Ainsi, en 2015 : 9,3 % de la population aura 75 ans ou plus, contre 16,2 % en 2060. À l’opposé, les 20 à 59 ans représenteront 51 % en 2015 puis 45,8 % en 2060. Ce phénomène s’explique par différents facteurs : le papy-boom, c’est-à-dire le vieillissement de la génération du baby-boom ; l’absence de catastrophe (pas de guerre majeure notamment) ; les progrès de la médecine et le traitement des maladies qui s’améliore, permettant un allongement de la durée de vie (un trimestre par an environ). Cela n’est pas sans conséquence pour la sécurité sociale, qui pourrait voir un déséquilibre se former dans ses finances, les personnes âgées coûtant plus cher à l’assurance maladie de par leur propension plus grande à tomber malade et payant moins de cotisations.
La relation entre la sécurité sociale et vieillissement de la population s’apparente à une rétroaction ; de la même façon que le vieillissement constitue généralement une contrainte supplémentaire pour les finances de la sécurité sociale, la sécurité sociale peut également influencer ce vieillissement : d’une part, elle peut le ralentir en influençant le taux de fertilité par une politique familiale nataliste, ou au contraire l’accentuer en développant la qualité des soins, ou diminuer ses conséquences financières en minimisant la morbidité aux âges élevés par la prévention. Le vieillissement est donc à la fois un enjeu appelant éventuellement à une réforme, un risque et une contrainte. Afin de montrer et d’illustrer cette thèse, nous présenterons d’abord les risques que fait subir le vieillissement sur la sécurité sociale (I), puis les réformes que le phénomène peut appeler (II).
I. Le vieillissement constitue un risque et une contrainte pour la sécurité sociale
a. Les conséquences économiques du vieillissement
Les conséquences économiques du vieillissement sont multiples et s’appréhendent comme un effet ciseau, réduisant les recettes et augmentant les dépenses. Une des conséquences les plus évidentes est la baisse relative des cotisations : une proportion moins grande d’actifs dans la population est synonyme, à taux de chômage, à salaire et à taux de cotisation égal, de moins de cotisations. En ce que tous les régimes de la sécurité sociale sont au moins partiellement basés sur ces dernières, leurs recettes seront mécaniquement réduites si elles ne sont pas compensées.
Deuxièmement, le vieillissement participe à une hausse des dépenses pour les régimes de sécurité sociale. Dans un rapport intitulé « vieillissement, longévité et assurance maladie », le haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie montre que plus un individu est âgé, plus il coûte cher à l’assurance maladie. Ainsi, à 30 ans, un individu coûte 1500 €/an en moyenne alors qu’un individu de 90 ans coûte 7500 € selon les calculs du haut conseil. Le vieillissement implique une augmentation de la part de personnes âgées, qui consomment davantage de soins que les autres parties de la population, constituant alors une augmentation des dépenses.
Cela est explicable par le fait qu’un âge élevé rend davantage fragile et augmente la prévalence de nombreuses maladies. À ce titre, la Haute Autorité de Santé met en place des prescriptions (« référentiels d’incitations »), différentes selon l’âge de la personne. Le Haut Conseil indique également que l’évolution de la dépense des personnes âgées augmente plus rapidement que celle du reste de la population. Enfin, les personnes âgées sont plus couvertes que les autres parties de la population (le reste à charge est de 24 % pour les 30-55 ans et de 14 % au-delà de 85 ans).
En ce qui concerne le régime des retraites, le raisonnement est similaire : le vieillissement s’apparente à un effet ciseau et implique une hausse de nombre des pensions à verser, et de facto, une hausse de dépenses et moins de cotisations.
Il convient toutefois de relativiser ces faits, en ce que l’augmentation de la dépense ne sera pas si importante : ce fait est explicable par le fait que même en 2060, la proportion de personnes âgées dans la population totale ne sera que de 16,2 % selon les prévisions. Toutefois, il est vrai que cette part augmente et donc que les dépenses devraient augmenter mécaniquement.
b. Les risques d’inégalité et de dépendance
Le vieillissement implique un affaiblissement général de l’organisme, même sans maladie (fatigue physique, mentale, diminution des capacités), et de facto augmente la dépendance. Selon l’INSEE, dans le rapport « la dépendance des personnes âgées : une projection en 2040 » : le taux de dépendance connait une augmentation très forte à partir de 80 ans.
Ainsi, le vieillissement n’implique pas qu’une augmentation du nombre de maladies, mais également une modification de l’état général du patient et appelle des solutions différentes en termes de soins, alors même que la maladie est la même. Deux types de soins concernent essentiellement les personnes âgées : les soins d’entretiens et les aides à la vie quotidienne, qui nécessitent un coût en main-d’œuvre très important. Le vieillissement concourt à une augmentation de plus en plus importante du nombre de personnes dépendantes – et ainsi à la nécessité de structures ou de personnes capables de les prendre en charge, en plus de les financer.
En outre, le vieillissement n’est pas sans poser une question d’inégalité et solidarité intergénérationnelle, en ce que les actifs devront payer un prix considérable pour financer la sécurité sociale et les pensions des personnes âgées. On peut également ajouter le problème du développement de déserts médicaux qui pourrait être amplifié : beaucoup de médecins sont proches de la retraite dans certains territoires et ne seront pas forcément remplacés.
II. Le vieillissement, un enjeu qui appelle une réforme de la sécurité sociale
a. Une réforme des recettes ?
Les problèmes et risques que nous avons évoqués appellent des réformes. En ce qui concerne la question de l’inégalité, il faut d’abord noter que les retraités payent une contribution sociale généralisée (CSG) plus faible que les salariés : 7,5 % pour les revenus d’activité salariée, contre 6,6 % pour les pensions de retraite, voire 3,8 en cas de faibles revenus. Cette différence existe alors même que les retraités sont généralement plus riches – ils sont, par exemple, plus souvent propriétaires. De par le déséquilibre grandissant des systèmes de retraite, accentué par le vieillissement, il serait préférable dans un objectif d’équité entre les générations, d’égaliser ses taux.
En outre, plus globalement, la réduction de la proportion d’actifs dans la population ne sera pas sans influencer les recettes de la sécurité sociale : le système français étant basé sur le travail, un fait inhérent aux systèmes bismarckiens, il est financé par deux tiers de cotisations et par un tiers de revenus fiscaux. Une diminution du taux d’actifs implique proportionnellement moins de cotisants. Ainsi, le vieillissement pourrait justifier une augmentation de la proportion des impôts dans le financement de la sécurité sociale et donc de facto une diminution des cotisations.
b. Une réforme des dépenses ?
« Aujourd’hui ma grand-mère fait du vélo. En 2030, elle fera du deltaplane » écrit Patrick Lelong dans la Fabrique des Centenaires. Il continue en écrivant « Ses coachs se nomment “allongement de l'espérance de vie,”, “progrès de la médecine” et “prévention” ». Par cette phrase, Lelong évoque la question de la morbidité. Un vieillissement de la population n’est, en effet, pas forcément synonyme d’une baisse de santé. Le vieillissement peut être prévenu, ralenti. On peut bien vieillir ; ce qui est capital pour les financements de la sécurité sociale, des études ont montré que la prévention était moins couteuse que le soin, c’est pour cette raison qu’elle est aujourd’hui promue par la sécurité sociale. Dans un rapport intitulé « vieillissement, longévité et assurance maladie », le haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie suggère qu’il faudrait faire moins appel à des soins techniques, et l’élaboration d’une politique globale d’accompagnement sanitaire et social pour les personnes ayant un âge particulièrement élevé (plus de 75 ans).
Le vieillissement vient également poser la question du cinquième risque de la sécurité sociale : la dépendance. Jusqu’à présent, les projets des deux derniers présidents de la République ont échoué, mais l’établissement de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en 2004 montre qu’il s’agit toutefois d’une thématique importante pour les pouvoirs publics. Des problèmes existent notamment dans le financement de l’APA (allocation personnalisée pour l’autonomie) en ce que les départements ont de moins en moins les moyens de financer cette politique. Une réforme, à terme, semble inévitable : Michèle Delaunay, ministre déléguée aux personnes âgées, dit de la dépendance qu’il s’agit d’« un défi politique majeur auquel il faut apporter des réponses dans la décennie ».
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