Introduction
En 1960, la santé représentait 3,8 % du PIB français. En 2010, cette part atteint 11,65 %[1]. En 2060, l’OCDE[2] prévoit qu’elle sera de 15,5 %. Comment expliquer cette hausse continuelle des dépenses de santé ? Dans un article récent[3], Dormont & alii ont montré que la hausse des dépenses de santé entre 1992 et 2000 est essentiellement due à deux facteurs : le vieillissement[4] (+3 %) et les changements de pratiques notamment induites par le progrès technique et l’élévation du pouvoir d’achat des individus[5] (+58 %). Ces deux éléments, exogènes au système de santé, sont difficiles à modifier : la hausse des dépenses de santé semble, donc, inéluctable. Toutefois, si le mouvement ne peut être inversé, il peut être ralenti et réduit : dans un rapport datant de 2013[6], Martins et de la Maisonneuve distinguent six déterminants des dépenses de santé : la structure et l’état de santé par âge, le revenu, les prix relatifs, le progrès technique et l’état de l’organisation du système de santé. Ce même rapport indique qu’avec l’adoption d’une gouvernance optimale, cette dépense de santé pourrait culminer à seulement 11,3 % du PIB en 2060, soit un taux légèrement inférieur à celui de 2010. Dans un contexte de difficultés budgétaires et économiques importantes, la rationalisation et l’organisation du marché de la santé est un enjeu capital pour l’économie et l’état des finances publiques françaises : en effet, le financement de la santé est essentiellement public, en ce qu’il est majoritairement financé par l’assurance-maladie.
Le marché de la santé, que l’on peut définir comme un ensemble composite de dépenses diverses, ayant toutes pour caractéristiques de modifier l’état de santé[7] de ses consommateurs est défini par les comptes nationaux de la santé. Correspondant aujourd’hui, selon la comptabilité nationale, à la consommation médicale totale, le marché de la santé concentre 240 milliards d’euros par an et se compose de multiples éléments :
- la consommation de soins et de biens médicaux[8] (CSBM) ;
- les séjours de longue durée ;
- les indemnités journalières ;
- La médecine préventive ;
- La recherche et la formation médicales ;
- Le coût de gestion du système de santé.
Comme tout marché, celui de la santé est imparfait, et a nécessité l’action de l’État pour se développer. Toutefois, ce marché reste spécifique de par son importance : l’accès aux soins et à la santé est aujourd’hui, en France, un droit affirmé dans des documents à valeur constitutionnelle comme le préambule de la Constitution de 1946[9] et la Charte de l’environnement de 2004[10]. En ce que le marché seul ne peut garantir un accès aux soins et à la santé pour tous, l’intervention de l’État est nécessaire dans ce domaine.
Cette intervention prend la forme d’un contrôle, d’une planification et d’une régulation du marché de la santé par des moyens divers : circulaires, règlements, dispositifs légaux spécifiques et contrats. Cette intervention, légitimée par le fait que la collectivité la finance en grande partie, est double, jouant à la fois sur l’offre et la demande du marché de la santé. Si jusqu’aux années 1980, l’objectif de l’interventionnisme étatique était l’accroissement de l’offre de soins par la construction de nouveaux établissements de santé et l’universalisation de l’assurance-maladie, un nouvel objectif a progressivement remplacé le premier : la rationalisation du marché de la santé. Ce changement d’objectif est explicable par le fait que l’intervention étatique, certes limitant les inégalités de santé, causait de nouveaux maux : manque de responsabilisation des consommateurs à cause de la quasi-gratuité de soins, inflation de la dépense de santé, coût collectif important, efficience limitée. Les correctifs apportés par l’État au mécanisme de l’État ont ainsi apporté leurs propres problèmes, qui aujourd’hui, de nouvelles réformes. Il s’agit, désormais, de diminuer les inégalités, d’offrir un accès aux soins dans un cadre respectueux des mécanismes de marché et d’une rationalisation accrue.
Ce dossier a pour objectif de montrer quelles sont les imperfections du marché de la santé (I) et comment l’État tente de les atténuer afin de réaliser les objectifs économiques et d’égalité que sont les siens : jouant à la fois sur l’offre (II) et sur la demande (III).
I. Le contrôle de l’État sur le marché de la santé est nécessaire de par les imperfections qui lui sont inhérentes
Le marché de la santé s’organise, naturellement, de façon irrationnelle au regard de l’intérêt général d’une population et tend à en exclure une partie pour des raisons sociales, géographiques et médicales tout en aménageant l’offre de soins de manière inefficiente (A). Cette exclusion, par le jeu des externalités, a des conséquences néfastes pour le bien-être et l’économie d’un Etat (B).
A. Le marché de la santé tend à s’organiser de manière irrationnelle au regard de l’intérêt général
Le marché de la santé est inégalitaire socialement : le rapport Black[11] (1980), une des premières études scientifiques sur cette question, démontre que l’état de santé d’un individu est directement lié à sa position dans la structure sociale. Les facteurs qui expliquent ce phénomène sont multiples : d’une part, les classes défavorisées ne disposent pas forcément de moyens financiers suffisants pour se soigner, suscitant éventuellement un renoncement aux soins. Les personnes aux revenus les plus faibles sont en effet celles qui se soignent le moins[12] et qui sont le plus exclues du marché de la santé. Cumulativement, les classes populaires ont davantage de comportements dits « à risques », comme la consommation abusive d’alcools, de drogues ou de tabac et une qualité de vie moindre, en termes d’alimentation et de logement notamment, en conséquence, ce sont eux qui nécessitent le plus de soins. Ces comportements, transmis par le milieu familial, sont de plus largement hérités et accompagnent les individus tout au long de la vie[13]. Cette relation s’apparente à un cercle vicieux : une mauvaise santé rend plus difficile l’obtention d’un emploi et tend à maintenir ces personnes dans la pauvreté [14]. Ainsi : à 35 ans, les hommes cadres supérieurs ont une espérance de vie de 47 ans, six de plus que les ouvriers. En outre, les bénéficiaires de la CMU-C montrent une surmortalité à tout âge par rapport au reste de la population[15]. L’intervention des pouvoirs publics a pour objectif de casser ces liens négatifs : c’est la notion de solidarité verticale.
Le marché de la santé est, ensuite, inégalitaire géographiquement. Il existe, en effet, des zones du territoire (« déserts médicaux ») où l’accès à des établissements de santé ou des médecins est plus difficile. À l’échelle départementale, les disparités sont grandes : la région parisienne et le Midi sont surmédicalisés alors que le nord et le nord-est et les départements ruraux de centre et de l’ouest apparaissent, au contraire, sous-médicalisés, particulièrement pour les spécialistes ; la densité de neuropsychiatres peut ainsi varier de 0 à 13 médecins par 100 000 habitants[16]. Les départements d’outre-mer possèdent, généralement, l’offre de soins la moins dense. En outre, il existe des inégalités infradépartements : l’offre de soins est plus faible dans les zones rurales et dans les zones urbaines sensibles. La structure du marché de la santé tend à la concentration des médecins, en ce qu’une moindre densité de population la rend souvent moins attractive. Cela s’explique pour des raisons multiples dont le résultat est que les médecins préfèrent s’installer dans les zones urbaines que dans les autres zones.
Enfin, le marché de la santé tend à s’organiser de façon inefficiente : d’une part, il exclut certaines prestations qui ne sont pas rentables, particulièrement les opérations lourdes et dangereuses ainsi que la médecine préventive. Cette dernière est particulièrement peu lucrative, mais économique pour la collectivité et avantageuse pour le patient. Le fait que le marché refuse de prendre en charge certaines activités pourtant nécessaires s’observe notamment dans la comparaison des actes médicaux des hôpitaux publics et des cliniques privées. Ensuite, certaines activités lourdes très coûteuses nécessitent une coopération accrue entre les différents établissements pour réaliser des économies d’échelle, qui n’est naturellement pas mise en place un système non régulé. Finalement, le marché tend à l’inflation des actes de soin et à la multiplication des actes alors qu’ils ne sont pas forcément nécessaires, contribuant à un manque de transparence pour l’usager et à une surconsommation de soins.
Cet ensemble d’imperfections n’est pas sans causer des problèmes importants, notamment par le jeu des externalités.
B.Cette irrationalité, par le jeu des externalités, a des conséquences économiques et sociales importantes et justifie l’intervention de l’État au nom de l’équité, de l’intérêt général et du respect des engagements de la France
Les inégalités sont coûteuses pour la collectivité dans le domaine de la santé par le jeu des externalités, et c’est en cela qu’elles justifient l’intervention de l’État, au nom de l’intérêt général. Le capital humain et son amélioration favorisent, en effet, la croissance économique[17] en ce que la réduction des inégalités de santé est un facteur de croissance via l’augmentation de la productivité du travail[18]. Au XIXe et au XXe siècle, la croissance des pays industrialisés s’est expliquée, notamment, par l’amélioration de la santé de la population (au Royaume-Uni, elle a compté au XIXe siècle pour 1/3 de la croissance[19]). À titre d’illustrations, un rapport de la Commission on Macroeconomics and Health (2001) de l’OMS conclut qu’une augmentation de 10 % de l’espérance de vie à la naissance contribue au moins à 0,3 point de croissance supplémentaire par an. Une autre étude, menée par Suhrcke et Urban[20] (2006), démontre que dans les pays développés, 10 % de baisse du taux de mortalité par maladies cardiovasculaires entraînerait un point de plus de croissance du PIB par tête dans les cinq années suivantes. De plus, les inégalités de santé tendent à une baisse générale de la santé à cause du développement des maladies transmissibles qui en résultent. Si ces maladies ne sont pas soignées, elles conduisent leur porteur à transmettre cette maladie à d’autres personnes et donc à dégrader le niveau général de santé publique.
Un autre argument important justifiant l’intervention de l’État est de nature juridique. Au regard des engagements de la France et du contenu de ses textes constitutionnels, une absence de régulation du marché de la santé constituerait un manquement. La constitution de l’OMS consacre en effet le droit fondamental de tout être humain de posséder le meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre. En outre, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 oblige les États parties à prendre des mesures afin d’assurer le plein exercice du droit à la santé concernant divers domaines, dont notamment la création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux. Divers autres traités et textes internationaux existent dans ce domaine[21].
Enfin, la maladie est partiellement aléatoire et constitue un risque partagé par tout individu, à ce titre, il doit être assuré collectivement sous une forme de mutualisation des risques. Si l’on applique le principe d’équité de John Rawls (théorie de la justice) au marché de la santé, l’intervention de l’État dans le domaine de la santé se justifie selon différents analystes[22].
Ainsi, de nombreux éléments tendent à motiver une intervention de l’État, mais quelle forme prend-elle, et doit-elle prendre ?
II. L’Etat joue un rôle dans l’adaptation de l’activité sanitaire aux besoins de santé de la population
L’offre de soins hospitaliers évolue en fonction de deux objectifs : la poursuite de la réduction des inégalités dans l’accès aux soins et l’adaptation de l’offre de soins aux besoins de la population. Le premier objectif vise à tenir compte des évolutions géographiques générales et à trouver un équilibre entre la localisation optimale des moyens hospitaliers, la sécurité des soins qui s’oppose à la dispersion excessive des moyens et le respect des contraintes budgétaires. (A) Le second, de nature plus qualitative, consiste à adapter la composition du parc hospitalier à l’évolution de la répartition par âges de la population, aux attentes des patients et aux progrès des techniques et des pratiques médicales. (B)
A.Organiser l’offre de soins afin de lutter contre les inégalités d’accès aux soins
L’Etat a toujours cherché à planifier l’offre de soins sur l’ensemble du territoire français. En effet, la loi du 21 décembre 1941 fondant l’hôpital public visait déjà à instaurer une certaine cohésion de l’ensemble du parc hospitalier puisqu’elle créait une « Commission nationale du plan d’organisation hospitalière » et, dans le même esprit, les ordonnances de 1958 créèrent également la « Commission nationale de l’équipement hospitalier ».
Néanmoins, c’est la loi Boulin de 1970, marquant le début du service public hospitalier, qui esquissera les premiers outils d’une planification de l’offre de soins sous le contrôle de l’Etat (carte sanitaire, secteurs sanitaires, indices de besoins) et qui conduira à l’instauration des SROS par la loi Evin de 1991. Cependant, nous verrons que, ces outils se limitant à l’organisation du champ hospitalier, il est apparu nécessaire de les réformer afin qu’ils prennent en compte le champ de la santé dans son ensemble. C’est ce qui conduit aujourd’hui l’Etat (représenté par les ARS) a organisé l’offre de soins sous la forme de territoires de santé et de niveaux de recours, notions qui s’inscrivent plus largement dans le Schéma régional d’organisation des soins (SROS).
Au départ, la planification de l’offre de soins concernait donc essentiellement le secteur hospitalier. Créé en par la loi Boulin du 31 décembre 1970, la carte sanitaire relevait d’une volonté d’organiser la croissance des capacités hospitalières en fonction des besoins de la population. L’émergence de surcapacités, suite à la diminution des durées moyennes de séjour, a transformé cet instrument de blocage de la croissance de l’offre, sans permettre les restructurations nécessaires. Par ailleurs, les outils utilisés, plafonds de lits ou d’équipements lourds par zone géographique (« indices de besoins ») ou subventions aux investissements prioritaires, se sont révélés peu adaptés à un pilotage de l’offre hospitalière. La qualité de l’expertise à la disposition de la planification et sa légitimité ont souvent été mises en défaut face à la complexité des enjeux, au poids des situations acquises et à la résistance au changement des acteurs locaux.
A partir de 1991, la réforme de la planification, avec la création des schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) par la loi Evin, a privilégié une approche qualitative, en fonction des besoins, de l’organisation géographique de l’offre de soins hospitalière et une démarche contractuelle dans la mise en œuvre des restructurations. Par ailleurs, dès 1994, des mesures plus autoritaires ont été adoptées, permettant à l’Etat de fermer des structures sous-utilisées. Néanmoins, ces réformes n’ayant pas eu les résultats escomptés, l’ordonnance du 4 septembre 2003 est venue supprimer la carte sanitaire au profit de l’opposabilité de l’annexe du SROS et une nouvelle notion est apparue dans la législation: celle de territoire de santé.
Le territoire de santé est une notion nouvelle introduite dans le droit positif par l’ordonnance du 4 septembre 2003 et confortée par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) du 21 juillet 2009. Il a succédé, comme outil de planification hospitalière, à l’ancien secteur sanitaire créé par la loi Boulin de 1970. La notion de territoire de santé est plus large que celle de secteur sanitaire : auparavant le secteur sanitaire ne comprenait que le champ de l’hospitalisation, désormais le territoire de santé s’étend au champ de la santé dans son ensemble. Ainsi, la « territorialisation de la santé » a vocation à mieux planifier toute l’offre de soins.
Il n’existe pas de définition légale du territoire de santé. A défaut, celle de Bernard Bonnici[23] est de dire qu’un territoire de santé est « une étendue géographique où la population résidente peut disposer d’une offre de soins de qualité ». Ainsi, le territoire est une notion à « géographie variable » qui dépend des contours que souhaite lui donner le directeur général de l’ARS. En effet, le législateur n’est pas contraignant, il laisse le choix au directeur général de l’ARS qui doit déterminer les territoires de santé avec pour seule indication le fait que les territoires peuvent être intra-régionaux, régionaux ou interrégionaux (article L. 1434-16 du Code de la santé publique). Néanmoins, le législateur semble avoir imposé une obligation de moyen (la pertinence du territoire) et de résultat (l’égal accès aux soins pour tous, garantie par une couverture totale du territoire et la suppression des zones blanches). Les territoires sont déterminés de manière consultative : les territoires intra-régionaux et régionaux sont définis par l’ARS après avis du préfet de région, de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) et des présidents du Conseil général et du Conseil régional pour les activités qui relèvent de leurs compétences ; et les territoires interrégionaux sont définis conjointement par les ARS concernées, après avis du préfet de chaque région et des présidents des Conseil généraux pour les activités qui relèvent de leur compétences.
Finalement, il existe 108 « territoires de santé » très hétérogènes et, dans une très grande majorité des cas, les territoires sanitaires issus de l’ordonnance de 2003 ont très largement épousé les contours de leurs prédécesseurs, les secteurs sanitaires.
Par ailleurs, le lien des ARS avec les collectivités territoriales est renforcé. En effet, selon l’article L. 1434-17, alinéa 4, du Code de la santé publique, celles-ci peuvent conclure avec elles des contrats locaux de santé dans la perspective du projet régional de santé (PRS).
Enfin, des conférences de territoire sont créées par le directeur de l’ARS dans chaque territoire. Composée de 50 membres maximum, répartis en 11 collèges (article D. 1434-22 du Code de la santé publique), celles-ci succèdent aux anciennes conférences sanitaires de territoire, lesquelles avaient remplacé depuis 2003 la conférence sanitaire de secteur, elle-même créée par le Plan Juppé de 1996 pour promouvoir la coopération entre établissements. Les conférences de territoires ont deux attributions : veiller à l’articulation des projets territoriaux sanitaires avec le PRS et les programmes nationaux de santé publique et faire des propositions au directeur général de l’ARS en ce qui concerne le PRS. Petites sœurs des CRSA, elles revêtent donc un rôle d’impulsion et non pas de décision.
La « territorialisation de la santé » s’accompagne également, dans la loi HPST de 2009, d’une graduation des soins et d’une organisation de l’offre de soins par niveaux de recours.
En effet, en 2004, une circulaire de la direction de l’hospitalisation et de l’offre de soins (DHOS) précisait d’ores et déjà la notion de gradation des soins (dans le cadre de la révision des SROS ; SROS dit de 3ème génération) et distinguait 5 niveaux de prise en charge hospitalière : de proximité ; intermédiaire : médecine polyvalente (pouvant assurer la prise en charge des urgences), chirurgie viscérale et orthopédique, obstétrique, imagerie conventionnelle ; de recours : soins spécialisés (chirurgie, obstétrique, disciplines interventionnelles et imagerie) ; régional : prestations spécialisées que l’on ne trouve pas dans les autres niveaux ; et interrégional : chirurgie cardiaque, grands brûlés, greffes, neurochirurgie.
La circulaire de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du 1er août 2011 abroge celle de 2004 mais confirme la nécessité de structurer l’accès aux soins par une gradation. Ce dispositif à pour objectif de décloisonner l’offre de soins ambulatoires et l’offre de soins hospitaliers, afin de permettre un meilleur accès aux soins partout sur le territoire.
La loi HSPT est également venue modifier le champ du schéma défini par l’ARS. Celui-ci n’est plus un schéma régional d’organisation sanitaire mais un schéma régional d’organisation des soins (SROS). Celui devient l’outil opérationnel de mise en œuvre du PRS et voit son champ d’application étendu à l’offre de soins ambulatoires. Nommé « SROS-PRS » il est élaboré en cohérence avec les deux autres volets du PRS : le schéma régional de prévention (SRP) et le schéma régional d’organisation médico-sociale (SROMS). On passe donc, comme avec la notion de territoire de santé, d’une logique de soins à une logique de santé publique, ce qui a pour but de décloisonner les secteurs.
Ainsi, l’objectif du SROS est de prévoir les complémentarités et adaptations de l’offre de soins, afin de répondre aux besoins de santé de la population et aux exigences d’efficacité et d’accessibilité géographique. Celui-ci prévoit donc les coopérations entre établissements, services, centres de santé, structures et professionnels de santé libéraux ; indique par territoire de santé les besoins en implantation pour les soins de 1er et 2e recours ; et veille à l’amélioration de la répartition géographique des activités et équipements. Par ailleurs, le SROS fixe également les objectifs de l’offre par activités de soins et équipements matériels lourds. Enfin, pour certains équipements ou activités relevant de leurs compétences, les ARS peuvent arrêter un schéma interrégional d’organisation des soins.
Dans le secteur ambulatoire, les seuls éléments de planification concernent le contrôle de la démographie médicale, à travers l’instauration d’un numerus clausus. Instauré en 1971 en France, le numerus clausus désigne le « nombre fermé » d’étudiants admis d’un certain cursus chaque année, principalement dans les professions de santé qui sont réglementées. En 2013-2014, il y avait donc 7492 places en médecine, 3099 en pharmacie, 1200 en odontologie, et 1016 en études de sages-femmes, au sein de la nouvelle année de PACES, première année commune au quatre filières, mise en place à la rentrée de septembre 2010.
Le numerus clausus a pour objectif de réguler le nombre de professionnels de santé, celui-ci n’a cependant été restrictif qu’à la fin des années 1970 avec un effet sur la démographie seulement dans les années 1980, compte tenu de la durée des études de médecine. Finalement, le nombre de médecins actifs est stable depuis 2004. Par contre, il y a de moins en moins de généralistes actifs alors que le nombre de spécialistes augmente. Pour Marisole Touraine, ce n’est pas le nombre de médecin mais la répartition des médecins sur le territoire qui pose problème. C’est pourquoi, une des mesures de son pacte Territoire-Santé est de mettre en place des contrats de « Praticien territorial de médecine générale » (PTMG), qui ont été choisis par environ 200 médecins généralistes libéraux en 2013. Ces contrats ont en effet pour objectif d’inciter les jeunes étudiants en médecine à venir travailler dans des zones sous-dotées en médecins.
B. Adapter l’offre de soins aux besoins de la population
Aujourd’hui, l’encadrement des établissements de santé est de plus en plus poussé. En effet, il se justifie par de plus grandes exigences de qualité et de sécurité des prestations fournies aux patients et par la nécessité de réduire les coûts de fonctionnement de l’hospitalisation. Ainsi, autorisations sanitaires, contrat pluriannuel d’objectif et de moyens (CPOM), certification des établissements et évaluation des pratiques professionnelles (EPP) sont autant d’instruments qui permettent à l’ARS de contraindre les établissements de santé et leurs personnels médicaux afin d’assurer l’égalité, la qualité et la sécurité dans l’accès aux soins.
Tout d’abord, l’ARS peut réguler l’offre de soins en autorisant ou non l’exercice d’activités de soins ou l’installation d’équipement matériel lourd sur le territoire. En effet, les autorisations sanitaires d’une durée de cinq ans ont pour objectifs de permettre l’égalité d’accès aux soins, la qualité et sécurité des soins, et la non aggravation voire la réduction des charges sociales. Ainsi, bien qu’un équipement soumis à autorisation ait été donné gratuitement à un établissement, son installation demeure soumise à autorisation (CE, 1996, CH de Moutiers). Selon l’article L. 6122-1 du Code de la Santé Publique (issu de l’ordonnance du 4 septembre 2003, modifiée par une ordonnance du 23 février 2010), sont soumis à autorisation de l’ARS : les projets relatifs à la création de tout établissement de santé ; la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d’alternative à l’hospitalisation ou d’hospitalisation à domicile ; et l’installation des équipements matériels lourds. L’autorisation est accordée par le directeur général de l’ARS, après avis de la CRSA (avis obligatoire mais non-conforme).
Finalement, d’une part, la commission exécutive de l’ARS dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il a d’ailleurs été admis qu’en l’absence de SROS publié, la commission pouvait néanmoins procéder à la l’évaluation de la comptabilité du projet avec la satisfaction optimale des besoins de la population (CE, 2006, Sté Val Pyrène). D’autre part, le juge administratif exerce un contrôle restreint sur ces décisions individuelles d’autorisation qui constituent des actes administratifs unilatéraux. Il se limite effectivement au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’existence d’un besoin exceptionnel tenant à des situations d’urgence et d’impérieuse nécessité (CAA Bordeaux, 2008, SELARL Verrougstraete-Gayon-Sin).
La décision est notifiée au demandeur dans un délai de 6 mois maximum suivant la date d’expiration de la période de réception des demandes. Le silence de l’administration vaut rejet. Les motifs justifiant ce rejet lui sont notifiés dans le délai d’un mois. Ces décisions doivent faire l’objet d’une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture de région, leur publication conditionnant leur opposabilité et le droit de recours, particulièrement des tiers.
Se distinguant de l’autorisation, la visite de conformité constitue l’exercice d’un contrôle a posteriori (réalisée dans un délai de 6 mois après la mise en fonctionnement des installations). Elle permet, lorsque les installations ou le fonctionnement ne sont pas conformes au dossier d’autorisation, de faire connaître sans délai au titulaire les constatations et les transformations ou améliorations à réaliser. Le titulaire de l’autorisation dispose alors d’un délai de 8 jours pour faire connaître ses observations en réponse, ainsi que les mesures envisagées. En l’absence de réponse ou si celle-ci est insuffisante, le directeur général de l’ARS enjoint au titulaire de prendre toutes dispositions nécessaires et de faire cesser définitivement les manquements dans un délai déterminé. En cas d’urgence tenant à la sécurité des patients ou du personnel ou lorsqu’il n’a pas été satisfait à l’injonction, il peut prononcer la suspension immédiate, totale ou partielle, de l’autorisation avec mise en demeure de remédier aux manquements dans un délai déterminé (décision de mise en demeure qui est susceptible de recours pour excès de pouvoir). Enfin, si cette mise en demeure reste vaine, il peut, après avis de la CRSA, soit maintenir la suspension, soit retirer l’autorisation, soit modifier son contenu. De ce fait, il est déjà arrivé, par exemple, que l’autorisation soit retirer pour carence en personnel paramédical (CE, 2006, Aubert c/ Ministre de la santé).
L’ARS encadre également les établissements de santé au travers des CPOM qu’elle conclue avec chacun d’entre eux pour une période de 5 ans. Ces contrats déterminent les orientations stratégiques des établissements de santé ou des titulaires de l’autorisation et des groupements de coopération sanitaire (GCS) sur la base du PRS, notamment du SROS ou schéma interrégional. Le directeur général de l’ARS dispose d’un grand pouvoir en la matière. En effet, d’une part, il peut résilier unilatéralement le CPOM en cas de manquement grave aux obligations contractuelles ou pour des raisons d’intérêt général (sous le contrôle du juge administratif) et, d’autre part, il peut appliquer des pénalités financières en cas d’inexécution partielle ou totale des engagements dont les parties sont convenues. Elles sont proportionnées à la gravité du manquement constaté et ne peuvent excéder, au cours d’une même année, 5% des produits reçus, par l’établissement de santé ou par le titulaire de l’autorisation, des régimes obligatoires d’assurance maladie au titre du dernier exercice clos.
Face aux exigences de plus en plus nombreuses au niveau de la qualité et de la sécurité des soins, des procédures de contrôle ont également été mises en place. Ainsi, les établissements de santé sont obligatoirement certifiés par la Haute Autorité de Santé (HAS). Les décisions de la HAS en la matière n’ont pas de nature juridique clairement définie, même si la HAS, dans une décision du 17 décembre 2008, les considère comme des actes administratifs unilatéraux susceptible de recours pour excès de pouvoir. Par ailleurs, les médecins participent obligatoirement, depuis le 1er juillet 2005, à une procédure d’évaluation de leur pratique professionnelle (EPP) qui s’inscrit dans leur formation médicale continue. De plus, les médecins ou équipes médicales qui le souhaitent peuvent se faire accréditer. L’accréditation permet de satisfaire à l’obligation d’EPP et peut être valorisée dans le cadre de la certification des établissements mais elle ne constitue pas en soi un label de qualité ou de sécurité des soins.
Pour finir, des inspections sont régulièrement pratiquées par les corps de contrôle de l’Etat en matière hospitalière. C’est l’ordonnance du 4 septembre 2003 qui a attribué aux ARH le contrôle du fonctionnement des établissements de santé et la loi HPST de 2009 est venue confirmer les compétences des ARS en la matière. Il est ainsi prévu qu’elles établissent un programme annuel de contrôle du respect des règles d’hygiène et qu’elles réalisent ou fassent réaliser les prélèvements, analyses et vérifications ainsi que les inspections prévues dans ce programme. Elles contrôlent par ailleurs le fonctionnement des établissements et services de santé, ainsi que la qualité et sécurité des actes médicaux, de la dispensation et de l’utilisation des produits de santé, ainsi que des prises en charge et accompagnements médico-sociaux. Enfin, en lien avec les services de l’Etat et les collectivités territoriales, elles participent à la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance au sein des établissements de santé.
Le directeur de l’ARS partage ce pouvoir d’inspection en ce qui concerne le contrôle de l’application des lois et règlements. Pour les établissements de sanitaires et médico-sociaux, la mission de contrôle peut être demandée soit par le directeur de l’ARS, soit par le préfet de département, soit par les deux et, en ce qui concerne les établissements sociaux, le contrôle est exercé à l’initiative du Préfet de département. Par ailleurs, des missions de contrôle de l’IGAS peuvent être effectuées à l’initiative du ministère chargé de la santé ou du ministère chargé de la sécurité sociale. Enfin, l’ANSM (agence nationale de sécurité des médicaments), dont le directeur dispose d’un pouvoir de sécurité sanitaire, peut suspendre et retirer des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme.
L’inspection prend la forme d’un contrôle sur place exercé par des agents publics ou des personnes expressément habilitées. Celles-ci rédigent un rapport d’inspection contradictoire qui peut entraîner la suspension ou le retrait de l’autorisation sanitaire. Par ailleurs, cette fonction régalienne d’inspection et de contrôle peut engager la responsabilité de l’Etat auquel il incombe de mettre en œuvre ses moyens pour assurer la protection de la santé. L’affaire du sang contaminé a montré par exemple que l’on pouvait engager la responsabilité de l’Etat pour carence fautive dans sa mission de contrôle du service public de la transfusion sanguine (CE, Ass. 1993, M. D.R.). Notons par ailleurs que le ministère chargé de la Santé fait régulièrement la promotion d’une culture de sécurité et de vigilance.
III. L’État tente d’influencer le comportement de la demande de santé
L’État, outre son contrôle exercé sur l’offre de soins tente d’influencer le comportement de la demande de la santé à travers un mouvement double de responsabilisation : du côté des consommateurs, d’une part (A) et du côté de la tarification des actes hospitaliers d’autre part (B).
A. La tarification des actes de soins – vers une responsabilisation des comportements des consommateurs
Afin de permettre à tous les Français d’avoir accès à des soins de qualité et bon marché, un système de sécurité sociale a été mis en place en France à la Libération. Généralisé progressivement à tous les travailleurs, puis universalisé avec la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU), de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), et prenant en charge une partie de plus en plus grande des soins[24], l’assurance-maladie est aujourd’hui accusée de provoquer une surconsommation d’actes de soins : la gratuité des soins et le remboursement des biens médicaux rend invisible, pour le consommateur, le coût réel pour la collectivité de ses consommations et tend à l’augmenter. Pour cette raison, le législateur a tenté de reprendre la main sur la gouvernance de la sécurité sociale en diminuant le pouvoir des partenaires sociaux : on parle d’« étatisation » de la sécurité sociale.
Les ordonnances Juppé (1996) mettent en place la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), qui permet pour l’État et le Parlement d’exercer un contrôle direct sur les organismes de sécurité sociale. La LFSS se prononce sur les orientations des politiques nationales de santé et de sécurité sociale. Ce contrôle reste encore limité, bien que renforcé par la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale (LOLFSS) du 2 août 2005. C’est la LFSS, qui fixe notamment l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), qui permet de constituer un cadre pour les établissements de santé et la sécurité sociale : il comprend les soins de ville, d’hospitalisation dispensée dans les établissements privés ou publics et dans les centres médico-sociaux et définit l’ensemble des dépenses remboursées par l’ensemble des régimes d’assurance-maladie. L’ONDAM a été respecté pour la première fois en 2010. Cet objectif de rationalisation s’observe avec la création de la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2004, autorité à caractère scientifique, qui a pour objectif d'évaluer et de rationnaliser la classification des médicaments, publiant des recommandations de bonnes pratiques cliniques et certifiant les établissements de santé.
Outre la réforme de la gouvernance de la sécurité sociale, un certain nombre de mesures a été pris afin de responsabiliser le consommateur de soins. D’une part, le déremboursement des médicaments est un mouvement qui s’est largement accru ces dernières années. Ce mouvement touche les médicaments dits « à faible efficacité thérapeutique », qui disposent d’un service médical rendu (SMR) insuffisant. En mars 2011, sur les 486 médicaments jugés trop peu efficaces, 369 médicaments ont été déremboursés. Ces déremboursements ont considérablement diminué la consommation de ces médicaments de façon immédiate. Toutefois, des reports sur d’autres médicaments remboursés ont été observés[25]. Un autre élément de réforme est celui du ticket modérateur (depuis 1945) et du forfait hospitalier (depuis 1983), qui ont pour objectif de laisser à la charge de l’assuré une part de la dépense afin qu’il puisse se rendre compte du coût réel des prestations et des actes médicaux lors d’une visite chez le médecin ou à l’hôpital. En outre, une participation forfaitaire obligatoire d’un euro est également mise en place et s’appliquera aux consultations réalisées dans les établissements du service public hospitalier et chez les cabinets des médecins de ville.
La loi de 2004 contribue à d’autres changements : d’une part, un renforcement du contrôle des arrêts de travail. Cette loi, surtout, favorise l’idée d’un parcours de soin. Auparavant appelé « médecin référent », la loi instaure le « médecin traitant » : tout assuré doit indiquer à sa caisse le nom de son médecin traitant, en accord avec celui-ci. Les patients ne s’inscrivant pas dans ce dispositif se verront appliquer, sauf exception, une majoration du ticket modérateur : associé au dossier médical personnel, il traduit l’ébauche d’un parcours de soins individualisé et une coordination accrue des soins.
Egalement, des dispositifs supplémentaires de nature diverse ont été mis en place : ils touchent notamment la consommation de générique, qui est favorisée par le biais de différents contrats conventions avec les pharmaciens et les médecins, le développement de l’éducation thérapeutique, qui a pour objectif de prévenir les atteintes à la santé et de diminuer la prévalence de comportements à risques. Enfin, on observe un mouvement d’accroissement du contrôle des fraudes à travers le dossier médical et la carte électronique d’assurance-maladie.
B. La tarification à l’hôpital
Outre la responsabilisation des consommateurs de soins, l’Etat a également mis en œuvre des réformes afin de responsabiliser les acteurs du système de santé. La transformation du mode de financement des établissements de santé fait partie de ces réformes. En effet, lancée en 2004 dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », la tarification à l’activité (T2A) est venue remplacer les modes de financements antérieurs des établissements de santé. Mode de financement unique à destination des établissements de santé publics et privés, la T2A repose sur une logique de mesure de la nature et du volume des activités et non plus sur une autorisation des dépenses.
Jusqu’en 2003, les établissements de santé connaissaient des modes de financements différents selon leur nature juridique. Les établissements publics de santé et les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH) étaient dotés depuis 1983 d’une enveloppe de fonctionnement annuelle et limitative - appelée dotation globale (DG). Celle-ci était calculée en fonction du nombre de journées et reconduite, chaque année, sur la base de l’exercice précédent, modulée d’un taux directeur de croissance des dépenses hospitalières. Une très faible part du budget faisait l’objet d’une négociation entre tutelle et établissement et la situation, figée en 1983, perdurait dans le temps. Les établissements de santé privés à but lucratif, quant à eux, facturaient directement à l’assurance maladie des forfaits de prestations (rémunération de la structure) et des actes (rémunérations des professionnels de santé libéraux), sur la base de tarifs historiques, variables géographiquement et négociés avec les agences régionales de l’hospitalisation (ARH). Les forfaits de prestations étaient encadrés par des objectifs quantifiés nationaux (OQN) visant à assurer une régulation du financement par rapport à l’activité. Ces établissements bénéficiaient, donc, d’ores et déjà de paiements à l’activité, sur la base de tarifs régionaux variables et non sur celle d’un tarif national unique.
La disparité créée entre les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif d’une part, les établissements privés à but lucratif d’autre part, rendait plus complexes les dispositifs de contrôle des financements et difficile toute comparaison des coûts entre les 2 secteurs. La loi du 27 juillet 1999 portant création de la CMU permit le lancement d’une expérimentation, à compter du 1er janvier 2000 et pour une durée de 5 ans, de nouveaux modes de financement des établissements de santé, publics et privés, basés sur une tarification à la pathologie. Cet objectif fut repris en 2002 dans le plan « Hôpital 2007 ».
Depuis, la T2A constitue le mode unique de financement pour les activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) des établissements publics (ex DG) et des établissements privés (ex OQN). Désormais, les ressources sont calculées à partir d’une mesure de l’activité produite conduisant à une estimation de recettes. Le prix de chaque activité est fixé chaque année par le ministre chargé de la santé via le mécanisme des GHS / GHM. Le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) permet de classer le séjour de chaque patient au sein d’un « groupe homogène de malades » (GHM) auquel est associé un (ou parfois plusieurs) « groupe(s) homogène(s) de séjour » (GHS). Ceux-ci conditionnent le tarif de prise en charge par les régimes d’assurance maladie.
Cette convergence intra-sectorielle assure l’équité dans le financement des établissements de santé : une pathologie = un tarif unique. Elle les incite à maîtriser davantage leurs coûts, par le biais notamment d’une meilleure organisation et d’une recherche d’efficience. Quant à la convergence intersectorielle (entre le secteur public et le secteur privé), dont le principe est également inscrit dans la loi, sa mise en œuvre est conditionnée à une exacte connaissance des écarts de coûts entre les 2 secteurs.
Néanmoins, d’autres financements sont également maintenus aux côtés de la T2A. En effet, un nombre important de missions assurées par les établissements ex DG est financé par les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation interne (MIGAC), dont les missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation (MERRI). Ces financements concernent les activités difficilement identifiables par patient (actions de prévention, dépistage, par exemple) ou nécessitant une permanence quel que soit le niveau effectif d’activité (SAMU, centres anti-poison, équipes mobiles de liaison, par exemple). Ces missions sont clairement identifiées et rémunérées par établissement, d’après une liste nationale.
De plus, certaines activités spécifiques telles les urgences, la coordination des prélèvements d’organes et les greffes font l’objet d’un financement forfaitisé. Les coûts fixes de ces activités sont financés par des forfaits annuels (près d’un milliard d’euros par an pour l’ensemble). Enfin, certains médicaments onéreux et dispositifs médicaux sont pris en charge en sus des tarifs de prestations. Ces listes font l’objet de mises à jour régulières, par arrêté du ministre en charge de la santé et sur recommandations du conseil de l’hospitalisation. L’administration des molécules onéreuses et la pose des dispositifs médicaux doivent répondre à des référentiels de bonnes pratiques, dans le cadre de contrats de bon usage.
Ce nouveau type de financement des hôpitaux s’inscrit donc dans la volonté de l’Etat de rechercher des économies de dépenses de santé tout en préservant la qualité et l’équité dans l’accès aux soins. Le PMSI, outil de gestion médicalisée des dépenses, permet ainsi de fixer des objectifs médicalisés de prescriptions pour chaque médecin afin de réguler la demande de soins.
Concernant l’hôpital, la recherche de soins adéquats et pertinents passe également par une meilleure articulation des professionnels de santé autour du parcours de soins du patient. Elle suppose, comme nous l’avons vu, une meilleure articulation entre ville, hôpital et médico-social et un meilleur partage de l’information. Elle doit donc se traduire par un recentrage de l’hôpital sur son cœur de métier qui est la prise en charge des pathologies lourdes nécessitant des équipes spécialisées et des équipements coûteux. A cet égard des progrès peuvent être réalisés par un désengorgement des urgences, le développement de la chirurgie ambulatoire et de l’hospitalisation à domicile, ainsi que la reconversion de certaines activités sanitaires vers le secteur médico-social. En effet, cela permettrait d’effectuer des gains de productivité qui permettraient in fine de diminuer les coûts de fonctionnement de l’hôpital sans pour autant altérer la qualité des soins.
Conclusion
L’étendue et l’intensité de l’intervention de l’État sont, dans le domaine de la santé, en France, une des plus importantes du monde. Cette intervention, considérable, influence à la fois l’offre et la demande de santé. Régulateur du marché, par le biais des agences régionales de santé ; opérateur économique sur le marché par les établissements publics de santé ; collaborateur avec les opérateurs économiques privés par le biais de convention et de contrats divers ; animateur de la coopération entre les différents établissements publics et privés ; financeur de l’essentiel du marché par l’assurance-maladie[26] ; formant les médecins et déterminant leur nombre ; chargé de l’essentiel de la recherche médicale ; disposant d’un pouvoir de tutelle sur les établissements privés à but non lucratif ; l’État et ses institutions déconcentrées ont le pouvoir de façonner le paysage du marché de la santé, alors même qu’il est aujourd’hui majoritairement privé (57 % de la consommation médicale totale est privé en 2010).
Par de multiples réformes, la hausse des dépenses de santé est en cours de ralentissement et s’incarne par le respect de l’ONDAM pour la première fois en 2010. Il est difficile de réaliser des comparaisons internationales des systèmes de santé de par la variété des classements internationaux. Selon un classement Bloomberg datant du 2013 sur l’efficience des systèmes de marché, la France figure au 19e rang, une performance médiocre attribuée au coût élevé du système. Au contraire, un classement de l’OMS datant du 21 juin 2000 classait le système de santé français comme le meilleur au monde.
Toutefois, des problèmes persistent en termes d’inégalités d’accès aux soins et d’efficience. Trois rapports récents ont été publiés, au cours des trois derniers mois, les mettant en avant. Un rapport du défenseur des droits[27] met, d’une part, en avant le refus de soins opposé aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’aide à la complémentaire santé (ACS) et de l’aide médicale d’État (AME). Le rapport annuel de la cour des comptes[28] de 2014 met en avant le déficit des hôpitaux publics et la nécessité d’une réforme dans ce domaine. Enfin, une note du Conseil d’Analyse économique[29] met en avant des nouvelles pistes pour une réforme structurelle de l’assurance-maladie, notamment en mettant fin au régime mixte de ce système : aujourd’hui, deux types d’opérateurs concourent au remboursement des mêmes soins : la sécurité sociale et les organismes complémentaires, ce qui n’est pas sans susciter un surcoût, notamment en termes de gestion. Les efforts, réalisés par les pouvoirs publics, pour rationaliser l’intervention publique sur ce marché, doivent ainsi être continués.
[1] Comptes nationaux de la santé
[2] « Quel avenir pour les dépenses de santé ? ». OCDE, Département des Affaires économiques, Note de politique économique n° 19, juin 2013.
[3] « Health expenditure growth: reassessing the threat of ageing ». Dormont B ; Grignon, M. ; Huber H.
[4] Dans un rapport intitulé « vieillissement, longévité et assurance-maladie », le haut conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie montre que plus un individu est âgé, plus il coûte cher à l’assurance-maladie. Ainsi, à 30 ans, un individu coûte 1500 €/an en moyenne alors qu’un individu de 90 ans coûte 7500 €. Le vieillissement implique une augmentation de la part de personnes âgées, qui consomment davantage de soins que les autres parties de la population, constituant alors une augmentation des dépenses.
[5] Le progrès technique augmente la quantité de traitements disponibles et donc de maladies pouvant être soignées, ce qui tend à élargir le recours aux traitements.
[6] « Public spending on health and long-term care: a new set of projections ». OCDE, Economic policy papers n°06, juin 2013.
[7] « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » (Préambule de la constitution de l’OMS)
[8] Soins hospitaliers, soins de ville, transports de malade, cures thermales, biens médicaux (médicaments, optique, prothèses)
[9] 11e alinéa : « La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé »
[10] « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »
[11] « The black report », Black D. Morris, 1980.
[12] « Equity in health care finance and delivery ». Wafstaff A., Doorslae, E, 1998.
[13] « Tel père, tel fils : l’influence de l’origine sociale et familiale sur la santé des descendants en Europe ». Jusot F., Tubeuf S., Trannoy A., 2009.
[14] « Un mauvais état de santé accroît fortement les risques de devenir chômeur ou inactif ». Jusot F., Khlat, M., Rochereau, T., Sermet, C., 2007.
[15] « Surmortalité et hospitalisation plus fréquentes des bénéficiaires de la couverture médicale universelle complémentaire en 2009 », Tuppin P., 2009.
[16] « Santé, société, inégalités géographiques en France », Vigneron E., n ° 19, juin 1997, HSCP.
[17] « Contributions du secteur de la santé à la croissance économique : une synthèse des travaux empiriques », Kocoglu Y., Rodrigo de Albuquerque D., rapport DRESS.
[18] Rapport final de la commission des déterminants sociaux de la Santé, OMS 2009
[19] « Economic Growth, Population Theory and Physiology: The Bearings of Long-Term Processes on the Making of Economic Policy ». Fogel R., 1994.
[20] « Are Cardiovascular Diseases Bad for Economic Growth? ». Suhrcke M., Urban D., CESifo Working Paper No 1845, November 2006.
[21] Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) ; Convention relative aux droits de l’enfant (1989) ; Traités régionaux relatifs aux droits de l’homme ; Charte sociale européenne (1961) ; Observation générale de l’organisation des Nations Unies sur le droit à la santé (2000)
[22] « Ethique, justice et santé », Boitte P., 1995 ; « L'extension de la justice comme équité à la santé et aux soins de santé », Daniels N., raisons politiques n° 34, 2009.
[23] « La politique de santé en France ». Bonnici B., Que-sais-je, PUF, 2013.
[24] La part du financement de la consommation de soins et de biens médicaux par la Sécurité sociale (51 % en 1950) a progressé jusqu’à étendre un pic en 1980 (80 %) puis diminue progressivement depuis (75 % en 2010).
[25] « Le déremboursement des médicaments en France entre 2002 et 2011 : éléments d’évaluation », Pichetti S., Sermet, C., ERDES, 2011.
[26] La France est ainsi l’un des pays où la prise en charge des dépenses de santé par les fonds publics est une des plus importantes et où le reste à charge des ménages est le plus limité.
[27] « Les refus de soins opposés aux bénéficiaires de la CMU-C, de l’ACS et de l’AME ». Défenseur des droits, mars 2014
[28] Rapport public annuel de la Cour des Comptes du 11 février 2014.
[29] « Refonder l’assurance-maladie » Conseil d’analyse économique, avril 2014.
commentaires