Soft power[1]
J. Nye
Comment évolue le pouvoir dans le monde politique ?
Le contexte en 1990 est celui de la fin de la Guerre Froide et de la menace soviétique. Certains américains prônent alors un repli sur soi, via l’instauration du protectionnisme, afin d’éviter une influence pernicieuse d’un trop important engagement au sein d’organisations internationales. La puissance étasunienne a été renforcée artificiellement par WWII, mais elle s’érode du fait du regain du dynamisme économique des autres pays. Or, il rappelle que ce déclin est à nuancer et d’autres pouvoirs (Japon) grandissent. Un protectionnisme (isolationnisme) serait contreproductif dans un monde d’interdépendances. En effet, parce que l’on vit dans un monde d’interdépendance, si la première puissance ne parvient pas à maintenir son rang et sa capacité de meneur, c’est toute la stabilité internationale qui est menacée.
La fin du XXème siècle a révolutionné la notion de pouvoir[2], car les Les facteurs de puissance ont changé : La croissance économique, l’éducation et la technologie deviennent des atouts qui ont plus d’importance. On peut peut-être rajouter l’autonomie, la capacité de dissuasion et l’influence. En l’occurrence, les US concentrent tous les pouvoirs (économiques, militaires, culturels, idéologiques et scientifiques), et les pays qui les talonnent n’ont pas assez de ressources (cf. sous développement de la Chine, incapacité de l’UE d’avoir une seule voix politique).
The great power shift
La redéfinition du pouvoir va engendrer de tels bouleversements sur la scène internationale, qu’il sera plus difficile pour les pays d’atteindre leurs buts. La question centrale à propos des US n’est pas de savoir s’ils seront une superpuissance mais celle de savoir dans quelle mesure ils seront capable de contrôler l’environnement politique et d’obtenir ce qu’ils veulent de la part des autres pays. (Marionnettes). Ce qui compte pour les US n’est plus la crainte de la montée en puissance des autres puissances mais la capacité de diffusion de leur pouvoir à l’échelle internationale car c’est ce qui constitue le pouvoir.
Alors que le XIXème s a fait face à des nouveaux « challengers », et le XXIème est face à de nouveaux challenges. Enjeux : les pays vont devoir se confronter à ce changement de nature de pouvoir. On entre dans une nouvelle ère. On doit faire une distinction entre exercer un pouvoir et influencer un pays. L’exercer sur le « Système » dans toute son intégralité, ce qu’il appelle aussi les « outcomes ».
Certes le pouvoir militaire reste en vigueur (cf la réponse des US face à l’envahissement de l’Afghanistan par l’URSS en 1980 et la prise d’otage à l’ambassade américaine de Téhéran 1979), mais les Etats doivent comprendre ses limites, et comprendre la nouvelle situation d’interdépendance. En effet, certains acteurs transnationaux ne disposant pas d’une grande puissance militaire jouent un rôle préoccupant au sein des RI. C’est le rôle des corporations multinationales qui sont parfois plus en mesure d’atteindre l’objectif du pays que l’Etat lui-même. C’est aussi le cas des groupes disposant du pétrole et des organisations terroristes.
Le changement d’acteurs dans la vie politique provoque un changement des buts. A ce titre, la sécurité nationale est passée d’un point de vue d’une sécurité militaire (en termes d’intégrité territoriale), à une sécurité économique et écologique. La vulnérabilité des acteurs est donc d’autant plus grande.
La force militaire est utilisée en dernier recourt et elle est lourde de conséquences en termes de coûts. Les autres forces sont :
- Communication
- Manipulation du système interdépendant : jouer dessus (US tributaires du pétrole du Golfe)
- Compétences en termes institutionnels.
L’interdépendance n’est pas synonyme d’harmonie
Il y a un équilibre inégal de dépendances mutuelles. C’est pour cela que les pays les plus vulnérables doivent utiliser des menaces subtiles comme source de pouvoir. Il peut aussi il y avoir un équilibre différent en termes de sphères : un pays a la puissance militaire, l’autre la puissance économique… L’art du pouvoir se joue alors dans les institutions internationales, où chaque pays doit faire en sorte d’influer sur les grandes questions, de sorte à servir ses intérêts : ils saisissent ces institutions.
Quand les instruments du pouvoir changent, les stratégies de pouvoir évoluent aussi
Avant, les pays souhaitaient conserver une indépendance face à une intimidation militaire d’un autre pays et donc leur stratégie consistait à faire en sorte de limiter le pouvoir de ses concurrents. Aujourd’hui, les problèmes économiques et écologiques impliquent une interdépendance, avec des avantages mutuels, qui ne peuvent être atteint que via une coopération. C'est-à-dire que la coopération en cette manière permet la maximisation des avantages pour chaque puissance. On peut dès lors parler d’un système international qui résulterait de ce jeu d’équilibre entre les stratégies des différents Etats.
Les différentes sphères du monde politique ont différentes distributions du pouvoir ie différentes structures du pouvoir. Cette distribution fait penser en un monde multipolaire alors que le pouvoir militaire fait principalement référence au monde bipolaire. Les pouvoirs des Etats varient tout comme la signification des acteurs non étatiques et de leur poids sur différentes sphères. Par exemple, la politique internationale en matière de dette des Etats ne peut être comprise sans considérer la puissance des banques privées. Il est évident que la hiérarchie de puissance militaire entre les pays va engendrer des conséquences sur le monde politique. Mais, du fait de son coût, le pouvoir militaire est bien moins transportable sur la scène internationale qu’auparavant, et il ne domine pas si la survie des Etats n’est pas en jeu, c'est-à-dire, en état de paix. La hiérarchie qui découle des différents pouvoirs des pays est donc bien plus complexe et diverse.
Convertir le pouvoir est plus difficile
La transformation du monde en différentes sphères a rendu les ressources de pouvoir moins fongibles (moins transférables de sphères en sphères). La monnaie est fongible : elle peut être convertie en une autre. Pas le pouvoir : l’usage de la force en vue d’obtenir des gains économiques (Guerre de conquêtes) est souvent contre-productif. Par exemple, le Japon peut développer une force nucléaire mais le coût politique risque d’être supérieur aux avantages, tant au plan intérieur que dans les relations internationales. Au lieu d’augmenter les possibilités pour le Japon d’atteindre ses objectifs, la militarisation constituera un obstacle.
Le pouvoir est relation
La définition du contexte est primordiale dans l’estimation du pouvoir réel qui peut dériver des ressources/éléments de pouvoir. On doit se demander « power for what ? ». On peut encore tout de même, transformer le pouvoir militaire par quelque chose d’analogue (fongibilité du pouvoir militaire). Le rôle protecteur qu’a la force militaire constitue un atout dans les négociations. Lors de la Guerre Froide, certains Etats avaient besoin d’une constante protection militaire de la part de la superpuissance américaine, pour se protéger contre l’URSS, ce qui a permis notamment de limiter les dégâts de la crise pétrolière de 1973 aux USA, car ils été alliés militairement avec certains pays producteurs. Nous sommes en présence d’une continuité et d’une discontinuité. Les grands Etats sont moins capables de jouer sur les éléments traditionnels du pouvoir, et certains acteurs privés ou petits Etats sont de plus en plus puissants.
Cinq tendances ont contribué à cette diffusion du pouvoir et à sa transformation:
- Interdépendance économique
- Acteurs transnationaux
- Montée du populisme dans des Etats faibles
- Essor des technologies ayant un effet révolutionnaire sur l’interdépendance économique et favorise la mondialisation (instantanéité, faible coût, globalité...)
- Nouveaux enjeux et problèmes politiques
NTIC
Elles ont de grandes répercussions. Les NTIC ont poussées à la prolifération de toutes sortes de marchés financiers, grignotant la souveraineté des Etats (difficulté à les contrôler et la main mise sur l’économie de la part de l’Etat peut avoir des conséquences néfastes). En outre, Les NTIC ont permis la projection de puissances en apparence moindre sur le devant de la scène internationale. Les nouveaux acteurs transnationaux ont un grand impact sur la définition des intérêts des Etats et bouleversent la stratégie pour y arriver. La France avait réduit à 3% le nombre d’automobile japonaise dans le marché français et limitait les investissements japonais en France. Mais, quand le Japon s’est implanté dans d’autres pays européen qui pouvaient exporter en France, le gouvernement a dû desserrer ses restrictions.
Nouveaux enjeux
Alors que les grandes questions (« issues ») opposaient traditionnellement deux Etats, aujourd’hui, c’est l’ensemble des Etats qui essaient de contrôler les acteurs transnationaux. Ces nouveaux enjeux requièrent une coopération internationale et une action collective. Ces enjeux transnationaux, du fait de leur implantation nationale et de leur diffusion mondiale sont les épidémies mondiales, les problèmes environnementaux, le trafic de drogue, le terrorisme.
Les instruments traditionnels du pouvoir sont dès lors moins efficients face à ces nouveaux dilemmes. Les nouvelles ressources de pouvoir sont davantage la capacité à utiliser la communication, à créer et agir au sein d’institutions multilatérales. J. Nye introduit le soft power : la cohésion nationale, la capacité d’universaliser une culture deviennent des formes de pouvoirs intangibles.
Power is passing from the « capital-rich » to the « information-rich »
Celui qui a le pouvoir, c’est celui qui agit en premier, et vite sur la nouvelle information, c’est la flexibilité. La communication permet par exemple une information immédiate sur le marché entre acheteurs et vendeurs à l’échelle mondiale. Etre sur le marché financier transnational est gage de puissance, car être sur ce marché permet d’accéder au pouvoir. Les Etats ont dû s’insérer dans la dérégulation financière afin de continuer à être compétitif. Avant, en termes militaires, l’espionnage régnait. Désormais, les satellites permettent d’avoir un contrôle quasi permanent de l’activité des autres, et ce dans tous les domaines.
D’autres aspects intangibles du pouvoir émanent directement de l’interdépendance qui lie les pays entre eux. La distribution des ressources économiques expliquent mal la distribution du pouvoir. D’une part, les organisations internationales peuvent jouer un rôle régulateur et d’autre part, si les deux partenaires ont un avantage dans leur relation, ces deux pays chercheront à préserver cet équilibre (cf. Si le Mexique ne parvient pas à faire face à la pauvreté dans son pays, ni aux problèmes intérieurs, les US vont subir une vague d’affluence en termes de migrants, de personnes démunies et de trafiquants de drogue. Plus les US aident un pays démuni, plus ils pourront exercer une influence sur la politique menée par ces PMA, principalement autour des questions des nouveaux acteurs transnationaux).
The changing face of power
Le soft power repose sur le verbe vouloir, tandis que le hard power repose sur le verbe ordonner.
En effet, le soft power, c’est parvenir à ce que l’autre pays VEUILLE ce que le pays initial veut (naturalisation), tandis que le hard power s’appuie sur la contrainte, la coercition, bref l’ordre. Un pays parviendra à atteindre ses objectifs dès lors que les autre pays approuvent cette situation, qui devient alors naturalisée. D’où l’importance du pouvoir accordé aux idées attractives, mais aussi la capacité d’imposer un cadre de débat au sein d’organisations internationales et de faire l’agenda politique, et surtout , de faire en sorte que cela soient aussi les préférences des autres. Culture, institutions et idéologie sont les maîtres mots du soft power.
Le soft power est aussi important que le hard power : Si un pays parvient à rendre son pouvoir légitime aux yeux d’autres pays, il rencontrera moins de résistances quant à ses veux et objectifs. S’il parvient à établir des normes internationales en accord avec sa société, cela permet qu’il perdure dans son être, et c’est peu probable qu’il soit remis en cause. Son idéologie et sa culture doivent paraître attractives.
Le pouvoir est devenu moins transférable, moins tangible et moins coercitif. Mais le soft power était déjà en vigueur dans la Guerre Froide. L’intervention par la force est chère et il est quasi impossible d’utiliser un hard power du fait de l’interdépendance des économies. En effet, cette relation d’interdépendance a des avantages pour tous, du coup, menacer un Etat revient à se menacer soi même (cf. si le Japon veut que les US restreignent leur déficit budgétaire, et qu’ils arrêtent d’acheter les bons du trésor américain, les conséquences néfastes seront pour les 2 pays).
Parce que les formes traditionnelles du pouvoir ont un coût trop important, le soft power (forme moins menaçante) est de plus en plus attractif. Le soft power correspond à la capacité d’un Etat de structurer une situation, de sorte à ce que les autres pays définissent leurs intérêts et préférence comme étant similaires à ceux de l’Etat. Les US ont plus de soft power que les autres Etats : le FMI ou OMC incarnent une vision libérale qui coïncide grandement avec la société américaine et son idéologie. Le pouvoir des US tient aussi au fait qu’ils possèdent beaucoup de FMN. Et les US ont beaucoup d’autorité et d’influence sur les corporations étrangères basées sur son sol. D’autant plus que le marché américain est très présent dans les stratégies des corporations globalisées.
Séries américaines au Nicaragua, jeans de marques américaines, coca. Alors que la Chine tente d’empêcher toute contagion, le peuple chinois aspire à la démocratie et culture américaine. Le pays qui est assis à califourchon sur les chaînes de TV parviendra mieux à diffuser son message au niveau planétaire et à modeler les préférences. Les US possèdent le réseau global quant à la diffusion de film et exportent de loin, le plus grand nombre de programmes. Alors que la part des US dans la production mondiale de film n’est que de 7%, ils occupent 50% du temps de diffusion de programmes TV à l’échelle mondiale (« world screentime »).
Les Japonais, qui certes ont une influence en matière culturelle et économique n’ont pas une culture exportable car trop repliée sur elle-même (ils acceptent plus les transferts de technologie que les étrangers), ce qui diminue leur soft power en matière idéologique. Ils échouent à s’internationaliser à rendre un message audible pour tous. Même si les US peuvent parfois être repliés sur eux-même, la reconnaissance de cultures de différentes ethnies, l’accueil d’immigrants, et leur défense de la démocratie et des droits de l’homme jouent un rôle de grande ampleur dans leur attractivité.
Le but des US devient alors celui de maintenir cet attrait. Alors que les US avaient critiqué les événements répressifs de la place de Tiananmen en 1989, ce qui avait provoqué un regain d’intérêt pour les idées américains, Bush a tout « gaspillé » lorsqu’il a envoyé sur places 2 délégations afin de se réconcilier avec la Chine.Il existe donc un pouvoir des idées transnationales. C’est une erreur de vouloir esquisser le déclin américain, il conviendra mieux de s’intéresser à la diffusion de son pouvoir. Certes, parler du déclin peut être positif en ce sens que cela pousserait les américains à réfléchir clairement sur leurs problèmes intérieurs plutôt que de se reposer sur une auto suffisance/satisfaction. De plus, une anxiété excessive concernant un potentiel déclin risque d’engendrer un regain nationaliste et protectionniste, ce qui contraindrait la capacité des US à faire face aux grandes questions issues d’une interdépendance internationale croissante. En clair, ça détournerait ou fausserait les US de leur rôle de leader dans l’exercice du soft power.
L’exagération du déclin nuirait à la capacité d’adaptation des US, et son euphémisme conduirait à prendre des décisions inadaptées, comme de considérer le Japon comme le nouvel ennemi, à la place de l’URSS. Joseph Nye souligne en conclusion que le problème majeur des US est le suivant : ils doivent prêter attention à la fois à leurs engagements internationaux et à leur politique/investissement intérieur. Les US dépensent beaucoup moins de dollars pour leur leadership international qu’auparavant pensant qu’ils ne peuvent pas soutenir un tel effort, malgré le fait que les taxes représentent un plus petit pourcentage dans le produit intérieur brut que d’autres puissances. à Ca suggère davantage un problème de leadership politique sur le plan intérieur des US (« domestic political leadership »), qu’un déclin économique.
[1] Foreign Affairs, automne 1990
[2] Défini strictement par Nye comme la capacité à obtenir quelque chose de l’autre, chose qu’il n’aurait pas voulue au départ. Elle touche donc à l’idée de contrôle, de supériorité militaire et économique, de possession de ressources, mais aussi de capacité à pouvoir faire. La guerre est donc le lieu propice où se mesure ce pouvoir.
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