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La promesse non-tenue des institutions internationales

par Matt 21 Décembre 2016, 09:02

 

Depuis la fin de la guerre froide, les décideurs internationaux travaillent à une nouvelle construction de l'ordre mondial. Le nouveau point de vue dominant est celui selon lequel les institutions internationales (OIG) jouent un rôle majeur dans la promotion de la paix. En Europe, elles sont déjà bien implantées et efficaces. Mais en Asie, elles ont du mal à se développer ce qui est dû à la peur des puissances japonaise et chinoise. L'idée est de mettre en place un « a framework of complementary, mutually reinforcing institutions » (J. Mearsheimer).

 

Les institutions sont un ensemble de règles qui précise la manière selon laquelle les États devraient coopérer et rivaliser les uns avec les autres. Elles imposent les formes acceptables de comportement et proscrivent les formes inacceptables. Ces règles sont négociées par les États, et selon de nombreux analystes, elles nécessitent l'acceptation mutuelle de normes supérieures. Les règles sont négociées dans des OIG mais ce ne sont pas ces dernières qui peuvent obliger les États à y obéir. Les OIG ne sont PAS un gouvernement mondial.

 

Sur cette question, on peut distinguer essentiellement deux points de vue, qui correspondent aux grands courants de pensée des relations internationales:

- Les réalistes: les OIG ne sont que le reflet de la distribution du pouvoir dans le monde. Elles sont basées sur les calculs auto-centrés des grandes puissances mondiales et n'ont aucun pouvoir indépendamment d'elles. Elles n'ont donc pas de rôle dans la promotion de la paix.

Les institutionnalistes: les OIG peuvent altérer les préférences des États et ainsi influencer leurs décisions. Elles peuvent les dissuader de faire des calculs uniquement basés sur leurs intérêts personnels. Les institutions sont indépendantes et ont la capacité d'éloigner les États de la guerre.

1) La théorie réaliste

Otto Von Bismarck, une inspiration des théories réalistes des Relations Internationales

Otto Von Bismarck, une inspiration des théories réalistes des Relations Internationales

Du point de vue réaliste, les Relations Internationales sont une arène brutale où les États cherchent à avoir l'avantage sur les autres, ils n'ont donc aucune raison de se faire confiance. Chaque État veut être le plus puissant et veut faire en sorte qu'aucun autre ne puisse prendre sa place. Ce n'est pas la guerre en permanence, c'est un état de compétition permanente pour la sécurité dans lequel les États tendent à coopérer. Son point de départ correspond donc au Léviathan de Thomas Hobbes. 

 

Les cinq présupposés des réalistes :

- Le système international est « anarchique », ce qui signifie que que la souveraineté des États n'est pas remise en question par celle d'une institution supérieure (type OIG).

- Les États possèdent de façon intrinsèque des capacités militaires offensives. Ils peuvent se détruire les uns les autres.

- Les États ne peuvent jamais être sûrs des intentions des autres.

- La motivation de base de tous les États est la volonté de survivre et de maintenir leur souveraineté. Cette volonté a avant tout un but défensif.

- Les États pensent toujours de façon stratégique à la manière dont ils peuvent survivre dans le système international.

 

Conséquences de ces présupposés :

- Les États se craignent mutuellement. Ce qui est accentué par le fait qu'il n'y a aucun mécanisme pour punir son agresseur. Donc les États se préparent toujours plus ou moins à la guerre.

- DONC les États ne visent que leur propre survie: comme personne n'est digne de confiance, ils ne peuvent pas se permettre de dépendre de qui que ce soit pour assurer leur sécurité. Ce qui ne les empêche pas de former des alliances. Mais attention selon l'auteur les alliances sont des « mariages commodes et temporaires ».

- Les États cherchent à maximiser leur ascendant sur les autres.

→ Les États cherchent toujours à la fois à se défendre contre les autres et à se préparer à les attaquer. D'où l'idée d'une « compétition permanente pour la paix » et le fait que la guerre est toujours possible.

La coopération dans le monde des réalistes

La coopération existe dans le monde réaliste. Mais elle est toujours inhibée par deux facteurs: les considérations quant aux gains que les États en retirent et la peur de la tricherie.

Les considérations relatives aux gains:

  • Gains absolus: les États ne pensent qu'à leurs gains propres, peu importe que les partenaires perdent au change.
  • Gains relatifs: les États comparent leurs gains à ceux des États avec lesquels ils coopèrent. C'est cette logique qui domine en générale mais elle rend la coopération plus difficile.

La peur de la tricherie: notamment du point de vue militaire, des retournements de situations peuvent se produire rapidement.

Les institutions dans le monde des réalistes

Certes elles existent mais elles sont le fruit de la manipulation des États les plus puissants. Ces derniers façonnent des règles qui leur permettent de garder l'ascendant (voire de l'augmenter) sur les autres États. Elles ne sont que le reflet des jeux de pouvoir du système international. Exemple de l'OTAN: elle a joué un rôle incontestable durant la GF afin d'éviter un troisième conflit mondial. Cependant, ce n'est pas l'organisation elle-même mais plutôt l'équilibre des pouvoirs en Europe qui a permis de maintenir la stabilité sur le continent. Dans la mesure où l'ennemi soviétique n'existe plus, les réalistes considèrent que l'OTAN doit, soit disparaître, soit se recomposer sur la base d'un nouvel équilibre européen.

 

2) La variété des théories institutionnalistes

A. Le libéralisme institutionnel

Dans cette théorie, chaque État a des arguments pour et contre la coopération. Les États raisonnent alors en termes de gains et de pertes ce qui conduit à de l'instabilité. La théorie libérale conçoit les Relations Internationales en une division de deux domaines: la sécurité et l'économie politique. Cette dernière étant la plus importante. Pour les libéraux, les institutions jouent un rôle important dans la promotion de la paix car elles favorisent la coopération. Mais cela est contestable car pour eux la coopération se réduit au fait d'éviter l'engagement des forces militaires.

 

Pour les institutionnalistes libéraux, le principal obstacle à la coopération est la peur de la tricherie (cf. la théorie des jeux et le dilemme du prisonnier). Chaque État triche car il pense que l'autre trichera donc ils finissent par perdre au change tous les deux. La meilleure solution est donc de convaincre les États qu'ils ont des objectifs communs qui exigent des sacrifices sur le court terme mais qui apportera beaucoup sur le long terme.

→ C'est ce problème que les institutions doivent surmonter. Elles doivent être le lien entre les deux États et fournir l'assurance que l'autre ne trichera pas. Pour cela, elles doivent dissuader les tricheurs et protéger les victimes. C'est pourquoi elles doivent produire des règles.

 

Les quatre changements qui doivent apporter les règles :

- Les règles doivent aider à multiplier les transactions inter-étatiques. Il faut institutionnaliser les relations.

- Les règles doivent créer de l'interdépendance, ce qui décourage les tricheurs qui en pâtiront forcément.

- Augmenter les interactions augmentera la quantité d'informations disponibles pour tous les participants.

- Les règles peuvent permettre de réduire les coûts de transaction.

→ Mais le rôle des institutions est limité en matière de paix car la peur des moyens militaires est trop grande. Les échanges économiques, quant à eux, sont moins dangereux: ils ne peuvent pas aboutir à la destruction totale d'un pays.

Le problème de cette théorie est qu'elle ne se concentre que sur la peur de la tricherie et elle ignore les considérations relatives aux pertes et aux gains. Or les États s'intéressent fortement à leurs gains relatifs.

→ La logique de gains relatifs concerne surtout les enjeux de sécurité alors que la logique des gains absolus concerne surtout les enjeux économiques. Or, dès que l'on s'intéresse à la logique des gains relatifs il est impossible d'ignorer les enjeux économiques: en effet, la puissance militaire est fortement corrélée à la puissance économique. Donc gains relatifs et gains absolus sont très liés. C'est pourquoi les États cherchent à avoir l'avantage économique sur les autres.

 

Deux questions à ce sujet:

- Est-ce que les institutions peuvent-faciliter la coopération quand les États s'intéressent aux gains relatifs?

- Ou bien est-ce que les institutions ne sont utiles que lorsque les États peuvent ignorer les gains relatifs et se concentrent sur les gains absolus?

→ Les institutionnalistes libéraux pensent que leur théorie ne fonctionne que lorsque les gains relatifs ne comptent pas beaucoup.

Ce qu'il faudrait pour étayer cette thèse ce sont des preuves que la coopération a parfois échoué du fait de l'absence des OIG ou bien du fait de la peur de la tricherie. Or, il n'y a pas de preuve de cela.

 

B. La sécurité collective

Idée principale: comment éviter la guerre? Pour eux, la force militaire est au cœur des RI. Donc le meilleur moyen d'engendrer la stabilité est de bien gérer cette force militaire car elle ne peut pas être supprimée. C'est la théorie du wilsonisme qui était au fondement de la SDN.

 

La théorie de la sécurité collective se base sur les principes réalistes selon lesquels les États se craignent mutuellement et cherchent seulement l'équilibre des puissances. Pour les tenants de la sécurité collective, les États cherchent à aller au-delà de ces intérêts égoïstes et en cela les institutions jouent un rôle. Le but pour elles est de convaincre les États de baser leur comportement sur les trois hypothèses suivantes:

- Les États doivent renoncer à utiliser la puissance militaire pour sortir du statu quo.

- Les États « responsables » doivent gérer les agressions des autres États en pensant aux intérêts de la communauté internationale toute entière et pas seulement aux leurs propres.

- Les États doivent se faire confiance. C'est la condition la plus importante.

 

Il y a notamment deux failles qui concernent toutes les deux la condition de la confiance:

- D'abord, la théorie n'explique pas comment les États parviennent à surmonter leurs craintes vis-à-vis des autres États. Selon cette théorie, les États ne devraient recourir à la force que pour des problèmes mineurs. Les problèmes majeurs étant réglés par la négociation.

- Ensuite, la théorie de la sécurité collective est faite de conditions exigeantes : Pour que la théorie fonctionne, les États doivent être en mesure d'identifier clairement l'agresseur et la victime. La théorie suppose que toute agression est négative. Or, ce n'est pas toujours le cas. Certains États entretiennent de bonnes relations pour des raisons historiques ou idéologiques. À l'inverse, une inimitié historique entre deux États peut compliquer le jeu global. Même si tous les États s'engagent à répondre en cas d'agression, il peut être difficile de répartir de poids de cet engagement. Organiser une réponse rapide face à l'agression est compliqué. Les États vont rechigner à intégrer un tel système car il fait des moindres conflits régionaux des conflits internationaux. Les réponses collectives du système empiètent sur la souveraineté de chaque État. Il y a une contradiction: la théorie se base sur le fait que les agressions par la force sont forcément négatives. Donc elles doivent être punies par la force. De plus, les États « responsables » trouveraient la guerre tellement mauvaise qu'ils y renonceraient, donc ils renonceraient à leur rôle ce qui fait que tout le système tombe à l'eau.

 

Les tenants de cette théorie reconnaissent qu'il y a eu peu d'exemples au cours du temps d'un tel système international. Les grandes puissances ont envisagé de mette en place un tel système à trois reprises: après les deux guerres mondiales et après la GF. Le meilleur exemple est celui de la SDN qui a échoué (malgré quelques succès dans les 1920s). L'ONU est actuellement ce qu'il y a de plus proche d'un système de sécurité collective.

 

Face aux échecs de cette théorie, certains auteurs disent que deux versions moins ambitieuses pourraient fonctionner: le « peacekeeping » et le « concert ».

- Peacekeeping: cette théorie implique l'intervention de parties tiers dans des guerres civiles mineures ou bien dans des conflits entre petits États. Ces interventions doivent être neutres et ne pas recourir aux armes. Le fait que la force ne puisse pas être utilisée montre bien qu'il s'agit d'une version édulcorée de système de sécurité collective qui ne peut pas fonctionner sans elle.

- Concerts: cela se base sur le principe d'équilibre des puissances, propre aux réalistes. C'est un arrangement dans lequel les États puissants n'ont pas de moyens de défier les forces militaires des autres États. Donc ils se mettent d'accord sur un ensemble de règles afin de coordonner leurs actions, le plus souvent dans le but d'établir des zones d'influence. L'équilibre des puissances étant instable, les « concerts » changent souvent.

 

C. La théorie critique

 

La proposition la plus ambitieuse des penseurs de la théorie critique est de dire que ce sont les idées (la façon dont on pense le monde et dont on en parle) qui sont au cœur des Relations Internationales. Ils contestent les idées réalistes et notamment leur principe d'hégémonie.

 

Les institutions sont au cœur des RI car leur but est de faire en sorte que les États cessent de penser et d'agir selon les principes réalistes. Pour cela, elles doivent changer les normes régulatrices du système international. Le but final est de créer des « communautés pluralistes de sécurité » dans lesquelles les États renonceraient à l'usage de la force. Le but est ambitieux car il s'agit de faire en sorte que les États changent leur perception de la guerre et la voit définitivement comme une pratique inacceptable. Pour cela, les États doivent rentrer dans une logique de compréhension mutuelle et de dialogue. Il faudrait même créer des interdépendances afin de garantir la coopération.

 

Les réalistes critiquent fortement cette théorie en disant que leur but est impossible à atteindre. Pour les penseurs de cette théorie, le seul moyen de parvenir à cela est de changer les représentations que les individus ont du monde et des RI (échelle micro et non plus macro !).

→ Markus FISCHER: « la réalité sociale est constituée par une conscience intersubjective basée sur le langage. Les êtres humains sont libres de changer leur monde par un acte de volonté collectif ». Les théoriciens critiques veulent donc suppléer les normes réalistes en vigueur par les normes communautaires. Ce sont les élites intellectuelles transnationales qui peuvent faire cela.

 

La théorie dit que les États changent de comportement quand le discours change. Mais elle n'explique pas comment certains discours deviennent dominants au détriment des autres. Autrement dit, qu'est-ce qui a changé dans l'histoire récente au point de faire que la théorie réaliste soit supplantée par la théorie critique?

 

La théorie critique admet que depuis le XIIIème siècle la théorie réaliste domine. Cependant, elle dit aussi qu’avant cette période (ère féodale en Europe notamment) c'est leur théorie qui a été adoptée. Mais cela a été très contesté par des penseurs réalistes.

Conclusion

 

Aucune des trois théories présentées ne permet de garantir le rôle des institutions. En effet, chacune des théories présentent des contradictions ou des manquements, et aucune des trois ne trouve de réelles preuves de ce qu'elle avance. Malgré tout, l'institutionnalisme reste une doctrine dominante dans le monde. Ce qui explique le succès de l'institutionnalisme est probablement sa proximité avec la théorie réaliste mais aussi avec des éléments centraux de la politique américaine.

 

En effet, il y a quatre raisons qui font que les penseurs (mais aussi l'opinion publique) américains se détachent de la théorie réaliste:

- C'est une théorie très pessimiste. Pour les Américains, le progrès est non seulement préférable mais surtout réalisable en matière de RI.

- Les réalistes pensent que la guerre est inévitable mais qu'elle est aussi parfois nécessaire. La guerre est donc bien « la continuation de la politique par d'autres moyens ». Et lorsque l'on s'engage dans la guerre, c'est surtout pour maintenir l'équilibre des puissances. En revanche, les Américains voient la guerre comme une « entreprise hideuse ».

- La théorie réaliste ne fait pas la distinction entre les « bons » et les « mauvais » États: ils poursuivent tous les mêmes buts avec les mêmes moyens. Ainsi, les Soviétiques durant la GF sont à mettre au même niveau que les EU, ce qui est impensable pour les Américains.

- La politique isolationniste des EU est en quelque sorte un pied-de-nez au réalisme.

 

Ce sont toutes ces différences qui font que les Américains n'adhèrent pas à la théorie réaliste. Ils cherchent donc à mettre en place des théories qui soient en adéquation avec leurs valeurs d'optimisme et de condamnation de la guerre. C'est pour cela que les théories institutionnalistes leur plaisent. Pourtant, les contradictions internes de ces théories font que toute politique qui se base sur elles est vouée à l'échec. L'exemple de la SDN est probant et l'on voit bien aujourd'hui que les États ont encore une grande marge de manœuvre. Il ne faut pas que la confiance dans les institutions soit mal placée car cela risquerait d'engendrer d'autres échecs.

 

International security, vol 19 n°3 hiver 1994-95.

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